Ma fin du monde (Vincent Leclercq)

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 Je me tiens au bord du précipice d’un monde sur le point de s’écrouler... Les vagues s’écrasent sur le récif, insensibles. Je me tiens là, assis les jambes dans le vide ; les yeux posés sur un horizon qui n’a cessé de s’assombrir. Et je m’interroge sur ce qui me retient encore en haut de cette falaise. Sauter serait simple. Trop simple peut-être. Ai-je encore suffisamment d’amour-propre pour résister à cette solution de facilité ?

Ma fin du monde n’est pas brutale, elle s’est installée lentement, insidieusement. Ce n’est pas un raz-de-marée, c’est un cancer. Quoique certains cancers soient curables. Ma fin du monde est bien plus inéluctable que cela, mais je ne trouve pas de meilleure métaphore.

Le suicide serait « le dernier geste de courage des lâches » ? Il faut croire que je resterai un pleutre. Le vide a beau m’attirer, je ne peux pas lâcher ma prise ; je ne le veux pas. Ce n’est pas tant le goût de la vie qui me retient ; c’est juste l’alternative qui ne me semble guère engageante.


Quand je remarquai les premiers symptômes, il était probablement déjà trop tard. Mes espoirs étaient morts, alors apparut la première étape du deuil : le déni. Il est évident que ça n’avait aucune raison d’arriver. Pas à moi ! Pas à ce moment ! Même si ma vie était bien morne, je tenais à ces petites routines qui l’entouraient ; ce statu quo qui nous fait tenir dans l’espoir d’un lendemain meilleur – qui ne peut survenir, un espoir doit rester un espoir ; il n’y a rien de pire que d’avoir accompli tous ses rêves et se retrouver sans ambition.

La seconde étape sur la route du deuil est la colère. Évidemment, j’étais en colère ! On le serait pour moins. J’ai tout cassé. Le nez de mon patron d’abord ; mes relations sociales ensuite ; tous mes biens matériels aussi... Ce fut inutile. Je me sentais aussi vide qu’auparavant.

La troisième étape est le marchandage. Mais marchander quoi ? Et à qui ? Bien sûr j’aurais voulu revenir en arrière, tout annuler... Ne serait-ce que le mal que j’avais fait : mes proches ne méritaient pas cela. Adresser des prières à une figure divine qui m’avait abandonné ? À quoi bon ?

La dépression ! Le mot est lâché, c’est le quatrième stade. Le point de non-retour. J’aurais dû m’en douter. Je m’en doutais ; au moins au niveau subconscient. Alors que faire à ce niveau ? Se bourrer de pilules ? Un prisme pour ne plus voir la vérité en face... J’ai préféré affronter cette vérité.

C’est ainsi qu’on en arrive au dernier stade du deuil : l’acceptation. J’ai fini par accepter le deuil de ma vie et de mes espoirs. Ma fin du monde. C’est ce qui m’a amené au bord de cette falaise : il fallait que j’accepte la situation pour ce qu’elle était.


La mer semble déchaînée. Agitée de cette furie qui m’a quitté. Les vagues semblent vivantes. Autant de vies qui viennent se fracasser sur la roche en contrebas. Je pourrais rejoindre ces vagues ; ma vie aussi peut s’achever fracassée contre la falaise. Mais je me voile la face ; j’ai déjà pris la décision de rester à quai.

L’incertitude de la vie plutôt que la certitude de la mort.

J’ai perdu tout espoir, il me suffit d’en trouver un nouveau.

Mon monde a pris fin,

un autre peut bien prendre la place vacante...

Fin(s) du MondeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant