Itami

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Je pensais vraiment réaliser une action héroïque et mémorable en sautant dans la rivière, sincèrement. Je dois même avouer qu'au départ, ça ne me paraissait pas si haut. L'eau ne me paraissait pas non plus si agitée.
Mais le frisson d'adrénaline qui m'était si satisfaisant disparut bien vite lorsque le courant se révéla bien plus fort que nous.
J'avais par réflexe fermer les yeux, ce qui était probablement une réaction normale, lorsque vous étiez maltraité par la nature. Je n'avais pas lâché Nikolaï, et au contraire, je le tenais plus fort encore contre moi. J'essayais comme il m'était possible, de le protéger de mon propre corps, couvrant sa nuque et ses côtes de mes bras. Peut-être n'était-ce pas vraiment le moment de penser ainsi, mais maintenant que je le tenais enfin dans mes bras, je me fis la réflexion qu'il était bien plus frêle encore que ce que ces vêtements pouvaient laisser croire.
L'eau inondait nos vêtements et le froid commençait à me mordre la peau férocement. Plus le courant nous emportait et plus difficile il nous était de respirer, à peine avions-nous le temps de prendre une inspiration, que la force du courant nous replongeait sous les vagues déchaînées. Je tentais un regard autour de nous, à la recherche d'une accroche. Pas forcément quelque chose de solide, mais qui pourrait au moins nous permettre de gagner un peu de temps. Repérant à quelques dizaines de mètres de nous, un tronc d'arbre à moitié enseveli dans la terre, la tête dans l'eau, j'essayais de nous y diriger malgré le courant. L'eau protesta vaillamment, mais nous parvinrent tout de même à nous accrocher au bois mouillé. Celui-ci d'ailleurs s'effritait par endroits, empêchant une quelconque accroche stable. Je passais ma prise sur Nikolaï à mon bras droit, nous accrochant au tronc du bras gauche. Je tirais un bon coup afin de nous redresser hors de l'eau et d'éventuellement nous en extirper en prenant appui à l'arbre. L'arbre parvint à nous soutenir quelques instants seulement. Mais ce fut assez pour que je repère la rive en contrebas. Je grimaçais toutefois en remarquant aussi les rochers nous y attendant. Ne supportant pas notre poids, ou plutôt le mien étant donné que Nikolaï ne pesait presque rien, le bois ou je m'accrochais se détacha, nous renvoyant dans le courant. Comme convenu, nous arrivions vers la fin du torrent. Et comme convenu, quelques rochers, de tailles différentes, nous accueillirent. Mon dos atterri dans l'un d'entre eux. Bien que la force du courant ait diminué, cela ne me fit pas le plus grand bien. La douleur me tirant un hoquet de quelques secondes.
Et puis enfin, l'eau nous offrit de la quiétude, nous portant vers la rive, principalement composée de roches et de terre. Je m'y accrochait fermement, nous tirant une bonne fois pour toutes de cette eau glacée.
Une fois assuré que nous étions hors de dangers, je me laissais choir sur le dos, quelques peu essoufflé par cette mésaventure. En entendant quelques toussements près de moi, je tournais immédiatement la tête vers Nikolaï pour m'assurer de son état. Presque à quatre pattes, il se frottait le torse en toussant un peu d'eau, ses vêtements trempés gouttant sur les pierres en dessous de lui. Je m'approchais pour lui frotter le dos doucement.
Je remarquais alors que, par je-ne-sais quelle sorcelleries, son masque tenait toujours sur son nez. Mais une sévère entaille en parcourait le côté droit, de bas en haut. Un morceau s'en était même détaché, dévoilant jusqu'à sa pomette.
Après quelques instants, il finit par repousser ma main et se redresser sèchement.
- Bordel de merde... J'ai bien cru qu'on allait crever... Souffla t-il en essorant ses vêtements.
Je me relevais à mon tour, quelques endroits du corps endoloris. Observant les environs autour de nous, j'essayais de trouver un repaire, ou un point en hauteur. Mais nous étions bien perdus au milieu de nul part. Ce voyage s'améliorait de jour en jour apparemment.
- Le temps est encore clément, mais ça ne va pas durer très longtemps... On devrait avancer un peu, on dirait bien qu'il n'est encore que midi, déclarai-je finalement, en regardant le ciel.
Nikolaï acquiesça en grognant et je soupirais, tournant mon regard vers lui.
- T'as rien de cassé, au moins?
Il marmonna durant quelques instants avant de secouer la tête.
- On a rien à gagner de rester plantés là comme des putains de fougères.
Me frottant la nuque je me mettais à la recherche d'un passage.
- On a pas forcément besoin d'aller très loin aujourd'hui, mais au moins de trouver un endroit sûr pour cette nuit, admettais-je calmement.
Un petit bois nous entourait, rien de bien méchant, mais nous étions ralentis dans nos mouvements par l'humidité et la fatigue de ce moment, plutôt agité. Même en tendant l'oreille, il était difficile d'entendre une trace de civilisation près de nous.
- On dit toujours de suivre la rivière, pas vrai... On trouvera sûrement des habitats, ou quelque chose au moins.
Nikolaï se mit à regarder autour de lui à son tour.
- On peut essayer... Mais on devrait faire attention. Je ne pense pas qu'ils aient pris la peine de nous suivre, au cas-où, méfions-nous, lâcha t-il, se mettant déjà en route.
Je soupirais et lui emboîtait le pas.
- J'espère que tu as une bonne excuse pour tout ce qui s'est passé, je ne pense pas que nos rois vont apprécier notre retard.
Nous étalonnions une petite montée, afin de rester un minimum à l'écart de la rivière. Une petite distance de sécurité. Totalement aux aguets, mon, désormais, unique compagnon de voyage guettait partout autour de lui. Je crus qu'il ne m'avait pas entendu, ou bien qu'il m'ignorait, comme cela était devenu une petite habitude. Mais finalement, il répondit.
- C'est eux qui m'ont demandé de le faire.
Je restais perplexe plusieurs secondes. Alors que j'allais de nouveau lui poser plusieurs questions, il me dissuada d'un regard et je me tut.  Nikolaï prit de l'avance sur sa marche, accélérant doucement. Je le laissais faire, me contentant de le suivre, alors que j'essayais malgré moi de trouver des réponses à mes questionnements.

Nous  marchâmes plusieurs heures avant de trouver un endroit où nous poser. Le ciel s'était assombri, et une petite brise se mettait à courir sur nos joues. Je n'étais pas particulièrement frileux habituellement, mais avec des vêtements presque innondés d'eau froide nous collant à la peau, je ne pouvais nier que je me mettais à frissoner aux moindres mouvements.
Remarquant que la nuit allait bientôt nous tomber sur la tête, je proposais à Nikolaï de s'arrêter ici pour aujourd'hui. Il protesta faiblement avant d'enfin accepter.
Nous nous étions installés dans un petit éclaircissement du bois, dans un rond vierge d'arbres. La meilleure idée était évidemment de faire un feu, pour nous réchauffer. Nikolaï partit à la recherche de nutriments, et de mon côté je créais un feu. Aucun problème ne survint pour le bois, il était légèrement humide, mais rien qui ne puisse pas flamber. En revanche, il fut déjà plus difficile de trouver du condiment sec et des roches pour entourer le feu. Je me retrouvais même à creuser le sol à certains endroits pour en découvrir. Revenant au point de notre camp pour cette nuit, j'allumais un feu, après quelques minutes de lutte de la part du bois, une flamme se mit finalement à apparaître, grandissant rapidement pour noyer les branches.
Nikolaï revint quelques minutes plus tard, quelques plantes et champignons dans les bras.
- Il n'y a vraiment rien dans cette foutue forêt... Lâcha t-il en déposant les éléments près du feu, avant de s'asseoir.
Je le regardais faire et m'accroupissait près des flammes dansantes. Tendant les mains vers celles-ci, la chaleur vint agréablement me caresser la paume des mains. Les champignons furent mis au feu, par un bref système de branches, et personne ne reparla ensuite.
Je me mit à observer les couleurs du feu silencieusement. C'était plutôt agréable. Voir les flammes rougeoyantes, s'élever et s'enrouler les unes autour des autres avec des reflets dorés, avant de retomber en cendres. En soit, ce bois était plutôt bruyant; avec les différents animaux et le bruit de la rivière s'écoulant, il n'y avait pas vraiment de moments de silence. Il commençait à s'assombrir de plus en plus et bientôt, il était difficile de voir plus loin que la lumière de notre feu. Aucun de nous ne pipait mot et cela commençait à devenir pesant, d'une certaine manière. Alors je tentais, ou plutôt risquait, ma chance.
- Dis... On risque d'avoir drôlement froid cette nuit... Le feu risque de s'éteindre... Et uhm..., il faut toujours avoir une source de chaleur... Murmurais-je en tournant mon regard vers lui, comme par peur de casser cette ambiance.
- T'en fais pas pour ça, on s'occupera chacun notre tour de veiller sur le feu, me répondit-il nonchalamment, se mettant à retourner les braises à l'aide d'un bâton.
- C'est pas vraiment ce que je voulais dire... Mais si tu veux... Soupirais-je.
Finalement, il se leva, et tapota sur mon épaule, son bâton, qui se cassa à ce contact.
- Tu prends le premier tour, je vais dormir un peu.
Il s'éloigna de quelques mètres silencieusement. Je le regardais s'installer sur le sol en soupirant. Prenant un autre bâton traînant sur le sol, je retournais les braises avec prudence.

Tᚺᛖ ᚺᛖᚨᚱᛏ ᚲᛖᛖᛈᛖᚱ The Heart KeeperOù les histoires vivent. Découvrez maintenant