Hiver

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"Un, deux, trois, petit oiseau

Vole, vole toujours plus haut

Un, deux, trois, petit oiseau

Reviens moi s'il le faut"


Ce n'est que lorsque les premiers flocons de l'hiver commencèrent à tomber qu'Alexandre réalisa enfin que Lucy était partie, comme ça, sans même lui laisser le temps de s'habituer à la simple idée de son absence. Elle n'était plus là, et c'était difficile, tellement difficile. Tout la rappelait à lui, et il liait tout à elle. Il entendait son rire dans le vent, il voyait ses yeux dans l'obscurité, et sentait son parfum dès qu'il entrait dans son salon, celui-là même qui aurait dû être le leur. Et Alexandre en avait le cœur déchiré.

Pour autant, il essayait désespérément d'aller mieux, et d'accepter le départ de sa douce artiste, autant parce qu'il ne supportait pas la simple idée de vivre dans le passé que parce qu'il lui avait promis d'essayer. Alors il se battait avec ses démons le jour et passait la nuit chez ses amis, leurs amis, ses parents, parfois même ceux de Lucy. Chaque soir il essayait de tenir, puis ses cauchemars revenaient le hanter et il appelait la première personne à laquelle il pensait, en larmes au bout du combiné, et suppliait qu'on le laisse venir, rien qu'une nuit. Parfois aussi c'était un ami de Lucy, ou ceux qui auraient dû être ses beaux-parents qui l'appelaient, et il se levait toujours, et il apportait sa présence qui valait bien plus que des mots. Et chaque matin, il retournait au travail, rechignant presque à le quitter. Il n'avait pas manqué une seule journée depuis le départ de Lucy.

Au début, ça allait de mal en pis, il haïssait Lucy autant qu'il la regrettait, et se détestait lui-même de proférer ces insultes à sa mémoire. Car après tout, elle était partie vite, trop vite, et avait décidé de fournir une multitude de doux souvenirs à Alexandre au lieu de placer en lui l'idée douce-amère qu'un beau moment serait peut-être le dernier. C'était certes noble de sa part, mais l'idée de ne pas avoir été là pour la soutenir rongeait Alexandre comme un poison, et leurs doux souvenirs lui devenaient insupportables. Il avait même offert un tableau de sa défunte nymphe à un de leurs amis communs, avant de revenir chez lui une heure plus tard pour le supplier de le lui rendre, et c'étaient ces contraires qui s'opposaient constamment en lui qui le déchiraient. 

Alexandre était malheureux.

Enfin, les nuits devinrent des jours, les jours devinrent des semaines, et les semaines s'écoulèrent jusqu'à se transformer en mois. Trois mois, pour être exact. Trois mois de dur labeur, de travail sur lui-même et de constante concentration. Au bout de ces trois mois, Alexandre commença enfin à apercevoir la lumière au bout du long tunnel dans lequel il s'était engagé, et ce jour là, il s'autorisa même un petit verre de vin rouge : il avait passé sa première nuit seul depuis le départ de Lucy. Il était satisfait, cela va sans dire, mais ne se considérait pas comme tiré d'affaire pour autant. Si seulement il avait su comme il avait raison. Car, quelques petites heures après la célébration de sa victoire, une nouvelle donnée vint chambouler le havre de paix qu'il s'était momentanément érigé. Un petit coffret qu'il retrouva dans un tiroir, dont il n'avait même pas connaissance de l'existence, et dans lequel il eut le malheur teinté d'une joie douloureuse, de trouver un petit tas de photos, d'objets et d'annotations soigneusement ordonnés. C'était la boîte à souvenirs de Lucy, celle qu'elle conservait depuis son plus jeune âge, souvent mentionnée, mais jamais révélée. Dans la boîte, il aperçut un ticket de caisse du café de leur rencontre, un marque-page qu'il lui avait offert, une des feuilles qui encombraient le kiosque en automne, mais aussi et surtout, une petite enveloppe. Il fut d'abord surpris, et ce sentiment l'étonna, venant de lui, avant de se rappeler que la jeune femme avait toujours trouvé le moyen de l'étonner. Cette enveloppe, il ne l'avait jamais vue, et peut-être aurait-il mieux valu qu'il ne la voit jamais. Car lorsqu'il entreprit de l'ouvrir, une liasse de billets s'en échappa, et un seul petit ticket lui resta dans la main :

Quatre SaisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant