Huit minutes

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Lorsque le petit Walt demanda à son père pourquoi le Monsieur qu'il pointait du doigt était allongé sur le sol, celui-ci bafouilla et ne répondit finalement rien.

La salle était immense, si immense qu'elle pouvait accueillir plus de mille personnes, nombre quasiment atteint en ce samedi 17 juin 2028. Walt n'avait jamais vu autant de monde réuni au même endroit. Il en était presque effrayé. Non loin de lui, dans la direction de son doigt dressé, se massait un groupe de curieux venus observer ou même photographier cet étrange individu étendu par terre près de l'entrée. D'autres, comme son père et lui, faisaient la queue avec plusieurs centaines d'hommes et de femmes de tous âges.

Il n'en pouvait déjà plus d'attendre. Ça devait bien faire trente minutes qu'ils patientaient et il n'avait qu'une hâte : rentrer chez lui pour jouer à ses jeux vidéo. Son père l'avait emmené avec lui de bon matin — alors même qu'il dormait encore — pour ne pas le laisser seul à la maison, mais il n'était pas non plus extrêmement enchanté de la présence de son fils dont il se serait bien passé. Il s'était récemment disputé avec sa femme qui l'avait quitté pour retourner chez ses parents et il n'avait aucune idée de si oui ou non elle reviendrait un jour. Les yeux rivés sur les machines à une vingtaine de mètres devant lui, son cœur battait la chamade tandis qu'il touchait fébrilement la montre à son poignet.

À ses côtés, Walt ne tenait pas en place et observait tout autour de lui en sautillant, lorsqu'un éclat brillant au loin attira son regard. Profitant d'un moment d'inattention de son père, il s'esquiva pour aller voir ce dont il s'agissait, abandonnant sa file d'attente qui avança sans lui. De ces files il y en avait cinq, en tout et pour tout, parallèles entre elles et débouchant chacune sur trois énormes machines alignées. C'était ces monstres de technologie que des milliers de personnes venaient consulter chaque jour, allant jusqu'à y débourser toutes leurs économies.

Lucas, lui, s'en était toujours tenu à l'écart. Adolescent timide et renfermé, il ne pouvait pas passer une journée entière sans stresser pour la moindre chose. Il n'existait pas à Paris de jeune homme de dix-sept ans plus anxieux et plus préoccupé, la pire de ses angoisses étant celle de mourir. Depuis qu'il était en âge de comprendre ce qu'était la mort, il n'avait cessé d'être terrorisé par l'idée qu'un jour il ne serait plus de ce monde. Cette peur l'obsédait au point qu'il s'interdisait un nombre impressionnant d'activités et de sorties. Aussi, la première fois qu'il se décida enfin à consulter un Oracle, il fut le premier surpris que ce ne fût pas pour s'assurer de sa longévité comme un bon quart des clients le faisait régulièrement à travers le monde.

Il patientait dans la queue depuis près d'une heure lorsque son tour vint.

« Tiens, Lucas, je ne m'attendais pas à te voir ici !

— Bonjour oncle Rémy... Je te rassure, jamais je ne m'étais imaginé venir non plus ».

Des cinq files d'attente, il fallait qu'il ait choisi celle où le frère de son père officiait aujourd'hui, pensa Lucas.

« Tu as bien ta montre ?

— Oui, répondit l'adolescent.

— Bien, tu peux y aller. N'oublie pas que tu paies en fonction du temps d'utilisation. »

Ça, il ne le savait que trop bien. Il s'était fixé un budget au ras des pâquerettes, pas plus d'une minute, juste de quoi poser sa question. Il l'avait tournée dans sa tête une bonne centaine de fois déjà depuis son réveil, mais dès qu'il fût installé dans sa cabine, il hésita un bref instant. Dans quelques dizaines d'heures il allait passer les épreuves du baccalauréat et cette simple idée le torturait en permanence. Il n'en dormait plus, n'en mangeait plus. Il avait besoin de savoir s'il l'aurait ou non. Sa santé mentale en dépendait.

L'écho du silence (Nouvelles)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant