Fleur de Pommier

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Dans la forêt verdoyante, les filets de rivières glougloutaient paisiblement et le chant des oiseaux berçait les lieux. Au travers de la végétation perçaient les rayons lumineux du soleil. De la mousse recouvrait la cime des arbres. Une main délicate vint à sa rencontre pour l'arracher et la fourrer dans une petite bourse. L'objet termina au fond d'une sacoche en cuire débordante de fleurs sauvages. La chevelure blonde indomptable de l'acquéreuse balaya l'air. Le murmure du vent souffla près de ses oreilles et la prévint du danger.

D'instinct, elle se retourna. Assis sur un rocher, un korrigan dardait son regard noir luisant sur elle. Un sourire défigura son visage et découvrit une rangée de petites dents pointus. Cornelia garda son sang-froid face à cet être imprévisible, connu pour ses mauvaises plaisanteries. Les intentions des korrigans ne sont jamais certaines.

Toi prépares jour du soleil ?

Le lutin velu faisait référence au solstice d'été. Comme preuve de bonne foi, Cornelia ouvrit sa besace et exposa les ingrédients qu'elle collectait pour l'occasion. Satisfait par sa réponse, le korrigan la récompensa d'une mise en garde :

Attention au retour du démon. Nadia plus là. Nadia plus empêcher le démon de venir.

La blonde cacha son effroi.

— Quel démon ?

Démon dévore tout. Mais démon préfère cœur des jeunes filles. Si lui te voir, toi mourir.

Un frisson traversa l'échine de Cornelia. Le petit être sentit sa peur et s'en amusa, un rictus affreux sur la figure :

Sorcière bientôt mourir. Sorcière bientôt mourir.

La jeune femme cita un psaume qui chassa le korrigan chantant. Peu rassurée par cette sombre prédiction, elle quitta la forêt en hâte. Un rituel mené à l'aide d'une cloche et d'une tresse de sauge brûlée activa les charmes de protection autour de son domaine.

Certains démons errants sont attirés par la simple mention de leur existence, ce qui pouvait expliquer pourquoi Nadia n'en avait jamais parler auparavant. Son silence servait de sortilège et faisait taire les esprits de la forêt. Le korrigan avait pris malin plaisir à le rompre. Nadia aurait infligé une bonne correction à ce petit chenapan. Depuis son décès, les entités des alentours revenaient tourmenter les humains. La malédiction temporaire de Thaïs par des feu-follets en était le parfait exemple. Cornelia repensa à cette nuit terrible, au sang poisseux maculant la robe blanche. Victime de métamorphose, le corps de Thaïs s'était transformé en celui d'une femme, une muse d'Ovide.

La lune dessinait un cercle croissant et illuminait le ciel nocturne de sa clarté. Un rayon brilla dans l'œil inquiet de Cornelia. Elle espérait que la malédiction soit bel et bien brisée.

***

Dans notre subconscient se trouve une zone d'ombre, une fenêtre sur le néant de notre esprit. Il arrive de s'y perdre au cours d'un rêve. La scène de notre vie se met alors en place, le subconscient donne matière à nos démons intérieurs et joue la comédie humaine à laquelle nous prenons part au quotidien.

Au cœur des ténèbres, Thaïs s'aventurait au hasard dans l'obscurité. Ses pieds nus bravaient une plaque d'obsidienne noire et froide. Le sol miroita son reflet. Il se pencha et observa son apparence renvoyée par la surface de verre. Sans en connaître la raison, il sut que ce n'était pas lui. Il tenta en vain d'éloigner son visage de son reflet : celui-ci suivit son mouvement et s'extirpa de la glace jusqu'à se retrouver incarné de la tête aux pieds. L'obsidienne se brisa en éclats et l'apesanteur les réceptionna tous deux en vol. Le double de Thaïs joint ses mains aux siennes et lui sourit.

— Qui es-tu ?

Je suis toi, et tu es moi.

Sa voix se révéla un ton plus aigüe que la sienne. Leur point de vue s'échangèrent en un battement de paupière.

— Nous ne sommes qu'un, se vit-il répondre.