L'écho du silence (Nouvelles)

Ces mots que je lui ai dits

Premier jour

Ce soir-là, en ouvrant les yeux, il m'a fallu une dizaine de secondes avant de réaliser que les flammes ne m'entouraient plus. Mon premier réflexe, instinctif, a été de palper toutes les parties de mon corps. Surpris, je ne savais pas si le fait d'être indemne devait me réjouir ou m'effrayer. Comme pour ajouter à mon désarroi, face à moi se dressait la majestueuse horloge de Grand Central Terminal. Autour, les New-Yorkais s'activaient tout en faisant mine de ne pas remarquer le pauvre homme à l'air ahuri qui était assis au beau milieu de la gare. Les aiguilles noires indiquaient onze heures du soir. C'était à n'y rien comprendre...

Quinze minutes plus tôt, je suffoquais dans l'incendie qui ravageait mon appartement d'Abbey Road, en Angleterre. L'espace d'un instant je me suis demandé si je ne l'avais pas rêvé. Ma femme Zoey et moi fêtions dignement notre premier anniversaire de mariage en faisant l'amour comme jamais nous ne l'avions fait, lorsqu'une épaisse fumée est venue nous tirer de nos ébats. En nous précipitant à la porte, nous avons constaté que le feu envahissait déjà le couloir et qu'il nous était dès lors impossible de nous échapper. Nous venions de déménager et notre chambre « officielle » étant encore en travaux, nous avions installé un lit de fortune dans une autre pièce de l'appartement, une pièce sans fenêtre dont on ne pouvait sortir que par un étroit couloir. Je me souviens d'avoir maudit cette erreur au moment où j'ai réalisé à quel point c'en était une. Bloqués, nous nous sommes alors résignés et recroquevillés le plus loin possible des flammes pour attendre la mort.

Pourquoi me suis-je ensuite retrouvé à plus de trois mille miles de chez moi ? Je n'en avais pas la moindre idée... Ça devait bien faire cinq minutes que j'étais là et je n'avais toujours pas suscité la moindre réaction de la part des passants. Je ne pouvais pas les en blâmer, en tant que Londonien, j'aurais fait la même chose. Seulement, à cet instant précis, j'avais un besoin urgent de réponses. Je ne sais pas si c'est mon penchant pour les histoires de science-fiction qui m'a poussé à penser ça, mais la première idée tordue qui m'a traversé l'esprit était que j'avais atterri à une autre époque. La probabilité était très faible mais je devais en avoir le cœur net.

La première personne que j'ai interpellée m'a complètement ignoré. La seconde également. Je me doutais que le New-Yorkais était peu enclin à aider son prochain, mais tout de même ! De plus en plus perdu et sentant la paranoïa m'envahir, j'ai commencé à tourner autour de l'horloge en questionnant — d'abord timidement puis avec de plus en plus de véhémence à mesure que la panique me gagnait — toutes les personnes qui croisaient mon chemin. En vain... Désemparé, une autre idée est alors venue m'ébranler. Je m'apprêtais à saisir quelqu'un par le bras lorsque j'ai cru sentir mon cœur s'arrêter. Une main venait de se poser sur mon épaule. C'est là que ma femme m'a dit que je me fatiguais pour rien, que personne ne m'entendrait. Je n'ai même pas pensé à la prendre dans mes bras ni même à embrasser celle que j'aimais et que j'avais cru perdre quelques minutes plus tôt. Elle était là, face à moi, sortie de nulle part, et je n'ai pas réagi. C'est fou à quel point on ne maîtrise plus rien quand on navigue en eaux troubles, la peur pour seule compagne.

Percevant ma détresse, Zoey m'a fait me rasseoir et m'a alors expliqué ce que je craignais d'avoir déjà compris. Elle s'était réveillée exactement au même endroit que moi, un peu plus tôt, et elle avait eu le temps d'analyser la situation. Nous n'étions ni dans le passé, ni dans le futur, ni dans un songe. Les gens autour de nous étaient bel et bien réels, mais ils ne nous voyaient et ne nous entendaient pas. Elle n'a pas eu besoin de m'en dire davantage.

Nous étions devenus ce qu'on appelait communément des « fantômes ».

********************

Jours 2 à 23