Chapitre 10.2 - Car l'esprit trop étroit n'atteint pas les hauteurs

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La conversation autour de Riol et de sa « sorcière » continue près du feu, dont la chaleur est la bienvenue. Heureusement, le sujet s'épuise vite. Nous ne sommes pas là pour fraterniser.

— On peut donc traverser le pont sans payer ?

— Oui, puisque vous venez du sud.

Et voilà qu'ils repartent dans leurs rigolades. Ça commence à devenir vexant.

— Et où allez-vous exactement ?

— On va vers les côtes du nord, aux Pays-Bas, ou en France.

Les rires s'estompent, laissant à nouveau place au sérieux.

— Désolé de dire ça à toi, mais pas possible.

Il fait signe au plus jeune d'expliquer. Il a toute mon attention.

— Il n'y a plus rien après Schweich.

— Comment ça plus rien ? On ne peut pas marcher une journée sans tomber sur un groupe ou une communauté, il ne peut pas y avoir plus rien d'un seul coup.

— Vous suivez l'autoroute 1 ?

Affirmatif.

— Alors croyez-nous, vous ne trouverez rien de bon. Il y a bien une société à Dreis, à une journée de marche environ. Ils sont très terri... territoire...

— Territorialistes ?

— Oui, c'est ça. Et bien armés. Ils ne discutent pas. Mais ce ne sera pas votre principal problème. Au-delà de leur territoire, plus au nord, il y a Wittich.

C'est quoi ça encore ?

— Cette ville marque la frontière entre ici et les zones irradiées du Nord.

— Je te ferais remarquer qu'il y en a partout, des zones irradiées. On baigne littéralement dans les radiations.

— Oui, mais pas à de tels niveaux. En seulement quelques kilomètres, on passe du simple au double, et ça continue à augmenter en avançant.

— Et vous les avez mesurés ces niveaux ou c'est encore des on dit ?

— Oui, bien sûr, nous avons plusieurs compteurs Geiger. Nous les entreposons précieusement chez nous.

Tanya me met un coup de coude et me demande à voix basse d'arrêter de l'interrompre. Les autochtones et leurs histoires attrape-touristes semblent la fasciner.

— Je comprends que tu sois scepc... sceptique, nous aussi ne voulions pas croire à ces histoires. Il y a encore quelques mois, beaucoup de gens venaient régulièrement du nord, de très loin, bien au-delà de la limite. Ils étaient dans un tel état qu'ils avaient tout juste la force de nous raconter leurs histoires avant de mourir, rongés par les radiations.

— Liquide à l'intérieur, insiste lourdement un de ses camarades.

Tout le monde écoute solennellement l'adolescent raconter cette histoire dans un anglais presque parfait je dois dire. L'ambiance n'est plus du tout à la rigolade.

— Ceux qui ont survécu assez longtemps nous expliquaient combien il leur était difficile de se déplacer et d'effectuer le moindre effort tellement les niveaux de radiation les assommaient. Et comme leurs proches mouraient les uns après les autres dans d'atroces conditions, ils comprirent que ces terres étaient bien trop contaminées. Alors ils partirent. Mais il était déjà trop tard pour eux. Nous avons envoyé une équipe là-bas. Ils ont confirmé les niveaux importants, le double d'ici. Parfois plus. Et toujours en hausse plus ils avançaient, au point qu'ils n'ont pas osé aller au-delà de Wittich. Les gens là-bas sont tous malades, très malades. Ils ressemblent à des zombies.

Chroniques des Terres enclavées - Émergence partie 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant