1+ The Girl

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Ce n'est pas la première fois que je vis cette scène, pourtant mon coeur s'emballe jusqu'à meurtrir ma cage thoracique. J'attache mon porte-jarretelles aux collants noirs et lisse la dentelle de mon string sur mes hanches pour qu'aucun pli ne vienne gâcher ce moment. Le soutien-gorge que j'ai choisi ne réhausse pas ma poitrine, mais donne un effet de transparence qui lui plaira sûrement. Car tel est mon objectif. Voir ses pupilles briller, sentir son souffle s'affoler pour le convaincre de revenir.
Le miroir me renvoie une silhouette qui me plaît et me laisse croire quelques instants que je peux m'évader de toute cette crasse. Le strip club Nightmare porte bien son nom puisque seule la raclure de Vegas y met les pieds. La musique y est vulgaire, les lumières criardes et les danseuses désespérées. Je ne m'intègre pas à ce paysage par volonté, mais pour l'assurance de rester anonyme tout en récoltant un maximum de billets verts. Ici, je suis une pute comme toutes les autres, mais à travers les yeux de cet inconnu, je deviens belle et respectée.

Le maquillage charbonneux ne s'accorde pas au rouge à lèvres carmin imposé par le patron. La marque de fabrique de la maison ne sert qu'à exciter les hommes qui souhaitent nous l'étaler et le faire baver. Si je pouvais écouter mes envies, je miserais sur la sobriété pour le séduire. Que cet homme au costume hors de prix passe cette porte chaque premier mardi du mois relève encore de l'incohérence et de l'absurde.
Et le comble veut qu'une fille aussi banale que moi cherche à lui plaire.
Frénétiquement, mes doigts démêlent les mèches qui tombent dans mon dos pour varier les coupes, ne sachant pas quelle coiffure peut l'émoustiller. Pour le satisfaire, je voudrais lui offrir tellement plus et cette réalité me décourage.

Je ne suis qu'une danseuse qui espère un peu trop d'un homme qui aligne les billets pour un moment en privé.

Tandis que je patiente dans la loge commune, j'entends Megan donner les recommandations à mon client, le menant vers les cabines. Celles-ci se réservent à un prix exorbitant pour la clientèle habituelle que nous avons, et nous permettent de nous concentrer la plupart du temps sur les podiums de l'espace principal. Il est plus rassurant de danser autour d'une barre avec un vigile à proximité, même si cela n'empêche en rien les dérapages de quelques excités alcoolisés. A contrario, les chambres rouges imposent une proximité et intimité déroutante. Elles doivent leur nom à la lumière qui s'allume pour indiquer la présence d'un client. Pour notre sécurité, les shows sont filmés et suivis par le propriétaire du club, mais divers faits me laissent à penser que cela est plus pour le divertir sexuellement.

Ne souhaitant pas penser à l'aspect lugubre de ce strip club, je commence à échauffer mes membres pour me mettre dans l'ambiance. Danser me donne la sensation de flotter, d'exprimer une partie de mon être au risque d'être jugée. Mais ici, les hommes me désirent, fantasment sur les courbes que je leur permets d'admirer et rêvent de me posséder le temps d'un instant.
S'il reste très souvent silencieux, mon bel inconnu me laisse espérer voir en lui un désir. Jamais il ne change de danseuse et ne manque à notre rendez-vous mensuel. Au Nightmare, il est interdit de toucher, pourtant j'espère à chaque fois qu'il enfreint la seule règle qui nous sépare.
Je ne suis pas de celles qui s'accordent financièrement avec le patron pour des finitions plus intimes, comprenant un pourcentage reversé pour l'écart de conduite. Je me contente de fantasmer.
J'ignore tout de lui alors que nous en sommes à notre douzième rencontre, ce soir. L'angoisse est présente, tout comme l'excitation. Nous n'avons aucun avenir, nos mondes étant clairement opposés. Il respire le luxe et l'opulence, tandis que je me dénude pour financer mes études. Mais je ne peux m'empêcher de m'évader de cette prison de velours pendant les prochaines minutes.

Lorsque je ferme les yeux, je parviens à visualiser le bleu de ses pupilles, qui contrastent avec le noir ébène de ses cheveux. L'inconnu ne me sourit jamais. C'est à peine si ses battements cardiaques s'accélèrent lorsque je quitte l'estrade pour lui offrir une vue plus directe sur mon corps.
J'ignore si je lui plais ou s'il vient juste chercher une distraction. Luc, notre patron, a tenté de lui présenter la danseuse phare qui rapporte bien plus par les options qu'elle propose officieusement, mais je suis la seule qu'il désire voir danser.

Trois coups sont portés contre l'encadrement de cette porte faite de perles suspendues. Josh ne se prive pas de détailler la tenue que j'exhibe, conscient qu'un effort est fait lors de ces entrevues spécifiques. Je fais mine de ne pas apercevoir son entre-jambes qu'il remonte alors qu'il lèche goulûment sa lèvre inférieure.

— Harper, c'est l'heure. Le riche est en place.

C'est maintenant à mon tour de jouer. L'adrénaline pulse dans mon corps alors que je délaisse le cadre rassurant de la loge pour un moment en tête-à-tête. Même si cet homme me fascine, le risque zéro n'existe pas dans ce métier. Des femmes ont été agressées, défigurées ou bien pire par des déséquilibrés. Si je n'apprécie pas cette montagne de muscles gonflée aux hormones, je reste soulagée de le savoir derrière la porte, prêt à intervenir en cas d'alerte.
J'enfile un kimono en dentelle noire et avance en camouflant tant bien que mal mes tremblements avec mes talons vertigineux.
Nous nous déplaçons jusqu'au sellier qui sert de chambre froide pour les bouteilles hors de prix et je patiente le temps que le gardien des lieux déverrouille la vitrine. Sans précaution, il plaque contre mon corps le magnum de champagne à 200 dollars la bouteille et ricane devant les frissons que le froid me procure. Puis il récupère un seau et des glaçons avant de me les refiler au milieu des habituelles consignes.

— N'oublie pas de le pousser à consommer.
— C'est ce que je fais à chaque fois.
— Pourtant, il entame à peine les bouteilles. Lyne réussit à en déboucher deux fois plus.

Les allusions à ma faible efficacité sur ce plan m'exaspèrent, tant je n'apprécie pas d'entourlouper les clients en leur promettant bien plus que je ne leur donnerai.
J'use de l'humidité sur mes mains pour rafraîchir ma poitrine et réveiller mes mamelons, geste qui n'échappe pas à mon garde du corps. Nos pas nous conduisent jusqu'à la salle éclairée de rouge par un néon extérieur. Quelques coups sont portés sur la porte, puis Josh ouvre le battant tout en me présentant.

— The Girl Next Door, comme vous l'avez désirée.

Ce surnom ne m'atteint plus. Il m'a été attribué pour mon physique banal et aguicheur. Je suis la jeune femme que vous croisez tous les jours, celle à qui vous tenez parfois la porte de l'ascenseur sans vous attarder sur les traits de son visage. Les personnes se souviennent parfois de mon nom, mais ne perdent pas leur temps à attendre que j'apporte quelque chose à leur existence. Je n'ai pas les seins refaits ni les cuisses fines et galbées. Je ne parviens pas à me défaire de cette petite bosse en bas de mon ventre, pourtant c'est moi que cet homme élégant réclame chaque mois. Et cela, personne ne l'explique.
J'entre dans la pièce composée d'une banquette arrondie, avec en bordure un plateau pour y accueillir le seau. Mon rendez-vous est déjà installé et observe chacun de mes gestes. C'est à peine si j'ose me tourner vers lui, en présence de l'intrus qui s'assure de ma bonne soumission. Je présente le Champagne à l'étiquette française alors que celui-ci est produit en Chine. Mon client valide son ouverture et je m'empresse de lui remplir une coupe. Le minimum attendu par Luc est rempli. Josh peut donc nous laisser et refermer le battant derrière lui.
Après une grande inspiration, je récupère la télécommande et lance les jeux de lumière tout en augmentant le son dans les enceintes. Trois marches me mènent à la scène circulaire qui lui fait face et me plonge dans le personnage qui révèle le côté sombre de ma personnalité.

— Pour combien de temps m'avez-vous réservée ? lui demandé-je la voix tremblante.

Ses doigts me répondent par deux. Je hoche la tête, programme le timer et dessine dans mon esprit la chorégraphie qui me permettra de tenir tout ce temps. Au premier mouvement de bassin, je le sens happé, et souris, consciente que mon show ne fait que commencer.

The Dancing Girl Next Door Où les histoires vivent. Découvrez maintenant