Je repris connaissance au fin fond de la cale de mon propre astronef, ligotée comme une prisonnière. Quelque chose de froid m'avait réveillé : de l'eau. Je voulus tousser, mais un corps étrangé enfoncé dans ma bouche m'en empêchait. Je tentai alors de m'ébrouer, en vain. Je n'étais pas libre de mes mouvements : on m'avait ligotée. Un frisson glacial descendit le long de mon échine. J'étais nue, immobilisée, sans défense.
Et je n'étais pas seule.
Quelqu'un se tenait dans l'ombre. Quelqu'un à l'aura bien différente de Tanit. Je relevai les yeux doucement, par paliers – d'abord au niveau du sol. Je pus distinguer quelque chose de sombre, les pans d'un shynawil noir, l'éclat obsidienne d'une armure d'iridium. Un ældien. Mâle, vu sa carrure. Une bonne, ou une mauvaise rencontre ?
Brusquement, une main gantée de métal se saisit de mes cheveux et me souleva, à bout de bras.
Un faciès à l'insupportable beauté se retrouva devant le mien. Un visage en lame de couteau, à la peau fine et translucide, d'une pâleur presque grise, aux pommettes sculptées, aux joues creusées et à la moue fine et arrogante. Des yeux sans âge me fixaient sans joie ni tendresse. L'un était entièrement noir, comme empli d'encre liquide. L'autre était blanc et aveugle, adorné d'un tatouage au cinabre représentant des glyphes intriqués, parmi lesquels je discernai la trace d'une ancienne cicatrice.
L'ældien me relâcha. Je retombai au sol en poussant un grognement de douleur – je ne pouvais guère faire plus, avec ce bâillon qui me sciait la bouche – ce qui amena un minuscule, imperceptible sourire sur le visage austère et cruel de mon ravisseur.
Ce dernier se retourna, et, sortant des plis de sa cape un bras recouvert de plaques obsidienne, le pointa dans ma direction en donnant un ordre en dorśari, une langue gutturale et dure, que je ne comprenais pas. Aussitôt, deux créatures de nature indéterminée vinrent m'attraper sous les bras pour me débarquer. Alors que mes pieds nus trainaient par terre, j'essayais de me convaincre que j'avais déjà vécu pire, que j'allais m'en sortir.
La vue qui s'étala sous mes yeux me fit me demander si je n'étais pas arrivée dans la dimension infernale où régnaient sans partage les dieux du chaos. Le ciel, ouvert et infini, était noir de suie, et d'immenses créatures ailées le parcouraient en croassant. De gigantesques tours d'onyx partaient dans tous les sens, déployant leurs angles acérés dans des axes défiant la logique mathématique. Des lueurs sinistres et violettes plongeaient le tout dans une atmosphère effrayante. Tout était immense, enchevêtré et terriblement perturbant. En contemplant ces tours titanesques, tous ces ponts les reliant, toutes ces arches à perte de vue et ces escaliers ne menant nulle part qui baignaient dans leur spectrale noirceur bleuâtre, je fus envahie par une sensation de confusion et d'oppression comme jamais je n'en avais ressenti auparavant.
Je me trouvais ici, dans un espace-temps inconnu. Qui m'y avait amené ? Probablement cette traîtresse de Tanit. Celle-là, quand j'allais l'avoir de nouveau en face de moi... Je pris une grande inspiration et fermai les yeux, cherchant à me concentrer.
J'envisageai frontalement la situation. En l'espace de quelques heures, j'avais perdu mes petits – un était mort, les autres pris comme cobayes par l'Holos – mais aussi Dea, Elbereth, Isolda. Et Ren. Mon foyer avait été dégommé par le CERG. Mon astronef, probablement volé. Ma nouvelle arme... Pareil. Et j'étais captive. D'un ældien appartenant à cette faction de pirates esclavagistes et sadiques qu'on appelait « les Sombres ».
La merde, quoi.
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LA CHAIR ET LE MÉTAL (Ne me mords pas)
Ciencia FicciónLa proie : "On l'appelle Obscur, incarnation vivante des ténèbres. Un cœur plus noir que la nuit elle-même. Cœur ? Ce monstre n'en a pas." Le chasseur : "Je l'appelle Faël, celle à la blanche chevelure. La proie la plus appétissante que je n'ai eu s...