Melek ne retint pas son cri. Ce cours de valse tournait au ridicule. Après avoir charcuté les pieds de son professeur, elle avait réussi l'exploit d'enfoncer le talon de son pied dans les orteils de son autre pied. Elle perdit l'équilibre sous la surprise et la douleur et s'écrasa dans les bras de son partenaire qui la retint difficilement. Il ne cacha pas son soupir et quand il la releva en la tenant fermement par les bras, il fixa son regard excédé dans le sien.
« Vous partiez déjà de très loin, Mademoiselle Özyildiz, mais je ne vous pensais pas capable de faire pire. »
Melek déglutit difficilement. Mais au lieu de se sentir blessée, elle sentit une colère sourde monter en elle. Elle en avait marre de ces professeurs qui la prenait pour une ignare. Elle en avait marre qu'on lui dise comment danser, s'asseoir et quelles conversations tenir. Elle en avait assez qu'on lui dise avec qui dormir, où passer les fêtes.
Elle n'attendit pas que ce danseur de pacotille prononce quoique ce soit de plus et elle se détourna de lui pour sortir de la salle d'un pas déterminé.
« Nous n'avons pas terminé, tenta-t-il pour la retenir. »
Melek se tourna vers lui et plantant son regard furieux vers lui, elle se contorsionna pour s'arracher du pied une première chaussure qu'elle jeta par terre. Elle recommença pour la deuxième et quitta la pièce sans un mot. Seul le claquement de la porte résonna dans le couloir.
Dans les escaliers, elle se sentit invincible. Enfin, elle parlait pour elle.
Ce n'est qu'une fois dans sa chambre que sa détermination s'essouffla. L'anniversaire du roi était dans moins de deux mois et il lui avait exprimé le souhait de partager une valse avec elle. Sa gorge se serra et elle tenta de chasser cette pensée de son esprit. Non, il fallait qu'elle retrouve ce sentiment tout-puissant. Elle s'était sentie si galvanisée en affrontant son professeur de danse, il ne fallait pas qu'elle gâche tout en pensant au futur. Sa valse avec Otto et celles qu'elle partageraient avec Wilhelm ne la concernaient pas encore. Elles n'existaient même pas.
Melek se précipita vers son armoire pour s'habiller plus chaudement. Le parc était fermé au public, elle pourrait profiter du jardin privé sans craindre ses pensées paranoïaques. Elle se débarrassa de sa tenue de sport et se changea avec un vieux jean et un t-shirt. Elle enfila son manteau sans le boutonner et enfila des bottes que sa mère lui avait envoyées. À ce moment, elle ne voulait rien porter qui ne lui rappelait pas qui elle était vraiment. Elle était lasse de porter ce déguisement, ce costume ridicule de princesse en devenir. Il fallait qu'elle reste Melek à tout prix, le temps que sa volonté persistait.
Elle traversa les couloirs à toute vitesse, essayant de ne pas se perdre. Parfois, elle peinait à savoir à quel étage elle se trouvait. Après plusieurs mois ici, elle blâmait son cerveau trop fainéant pour ne pas réussir à s'orienter correctement.
Elle réussit finalement à se repérer une fois qu'elle passa à côté des cuisines. Elle tenta de se faire discrète quand elle passa dans le couloir vers la porte de sortie, mais on se taisait sur son passage. Elle tenta d'ignorer le sentiment de malaise qui grandissait en elle et elle poussa la porte qui menait aux jardins privés. La porte se referma seule derrière elle et elle entendit des voix reprendre leurs conversations.
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Valse à Löwenstadt (T.3) [TERMINÉ]
RomanceSuite d'Été à Vienne (oui, encore la grosse tête de Melek en couverture) --- À la sortie de l'aéroport, Melek prend enfin conscience des engagements qu'elle a pris en suivant Wilhelm jusqu'à Löwenstadt. Mais loin du palais, elle peut encore toucher...