Fleur de Pommier

8

Thaïs estimait n'avoir aucun talent à part la peinture, l'unique corde à son arc selon lui. Il aimait dessiner et peindre à l'aquarelle. C'est pourquoi l'idée de montrer ses propres cartes de tarot, réalisées par ses soins et sa passion, le rendait nerveux. En s'exposant ainsi à un avis extérieur, il craignait de perdre son peu de confiance en lui. Heureusement, Cornelia n'eut pas l'ombre d'un doute sur la qualité de ses compétences artistiques.

— Elles sont magnifiques ! Tu les as faites toi-même ?

— Oui, répondit-il avec réserve.

— Tu es doué, je suis impressionnée, vraiment.

Les cartes de tarot de Thaïs étaient uniques. Peintes dans un style épuré, elles reflétaient de la délicatesse et une sensibilité particulière. Des touches de dorures encadraient les bords et le nom de chacune des cartes.

— J'aime beaucoup celle-ci.

Le compliment de Cornelia désignait une des arcanes majeurs du tarot, l'Ermite, un point lumineux dans la nuit comme une lueur d'espoir dans les ténèbres.

Le bruit de la pluie avait aidé la sorcière à se remettre de ses émotions. Elle sentait encore l'aura maléfique dans le reflet de sa dague nettoyée à plusieurs reprises. Bien que mort, le démon gardait une certaine emprise sur elle. Il occupait son esprit. Il avait fait d'elle une meurtrière.

— J'ai quelque chose à te dire, Cornelia.

Cette dernière se retourna et prêta toute son attention à Thaïs. La gravité de son expression et la peur qu'elle y décela l'inquiétèrent.

— Qu'est-ce qu'il y a ?

— Tu te souviens de ce qu'il s'est passé la dernière fois que je suis venu chez toi ?

Un frisson traversa la jeune femme. Sans un mot, elle hocha la tête.

— Deux autres pleines lunes sont passées depuis.

Les mots peinaient à franchir ses lèvres tremblantes. Son poing se serra à en faire blanchir ses phalanges.

— Ce n'était pas une malédiction temporaire. À chaque pleine lune, je deviens une... une...

Il déglutit. Des larmes brouillèrent sa vue. Cornelia vint s'assoir à ses côtés et passa une main compatissante dans son dos. C'est ce que je craignais, pensa-t-elle en silence, le démon disait vrai.

— Je fais des rêves. Des rêves où je vois mon double féminin. Ça se termine toujours pareil, juste avant mon réveil. Mon double vole mon corps et je suis coincé dans le sien. J'ai peur. J'ai tellement peur de perdre mon corps. Et cette douleur. Je déteste ça.

— Tu parles de tes règles ?

Rouge de honte, il ferma la bouche et baissa les yeux.

— Tu n'as pas à te sentir gêné. Les femmes savent bien ce que c'est, et j'en suis une. Ce n'est pas facile au début, mais ça va mieux avec le temps.

Le visage de Thaïs se décomposa. Il plongea son regard humide dans celui de Cornelia.

— Tu penses que je suis maudit pour le restant de mes jours ?

— Je vais voir s'il existe une solution pour t'en délivrer. Je ne peux rien te promettre, mais malédiction ou pas, les choses s'arrangeront. Tu te souviens de ma lecture de tarot, la roue de la fortune ? Ça ira mieux. Tu en as ma parole.

Mort de fatigue, le garçon finit par s'endormir sur les genoux de Cornelia qui fredonnait une berceuse.

Cette chanson rappelait à la sorcière des souvenirs d'enfance, ces jours au manoir, avant sa vie au sein du cirque ambulant et son apprentissage auprès de Nadia. À cette époque, Hélène, sa nourrice, venait la lui chanter pour la réconforter quand elle pleurait la nuit.