Chapitre 2 - K

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Les premiers cours de la journée se déroulent sans accroc, mais je ne peux m'empêcher de repenser à l'altercation de tout à l'heure. Et si ils me retrouvaient? J'ai été très impolie, et il y a de forts risques que je les recroise. La classe ultra est aussi intégrée aux cours des classes lambdas, pour ne pas créer de discrimination. Ils pourraient tous les deux m'attendre paisiblement dans la prochaine salle, et je n'aurai plus d'excuse cette fois-ci.

- Mademoiselle! Oui, vous, au troisième rang, vous rêvez!

Je me redresse vivement. J'avais oublié que j'étais en littérature. Encore une fois, tous les regards sont sur moi, et je me sens rougir. La professeure me pointe presque du doigt, et je ne pense qu'à me cacher sous terre. Je vois certains vampires froncer les sourcils.

Heureusement pour moi, l'attention générale est vite déviée par des coups frappés à la porte. L'arrivant est déjà en retard d'une quinzaine de minutes, et n'attend pas l'autorisation de la prof pour rentrer.

De longues jambes dorées surmontées d'une jupe beaucoup trop courte pour le règlement font apparition. Je reconnais encore une fois la tenue noire de la classe ultra, et manque de paniquer. Par chance, il ne s'agit ni d'Améline, ni de Matthew. C'est le troisième membre de l'élite.

- Vous êtes bien en retard, Mademoiselle. Et je doute que cette tenue soit acceptable, assène l'enseignante.

La jeune fille lui faisant face fait la moue. C'est une magnifique brune toute en formes.

- Je suis Cécilia West, et tout le monde me connaît ici. Je suis libre de m'habiller comme je veux, qui plus est. Si de stupides garçons sont distraits par ma plastique, ce n'est pas de ma faute tout de même.

La professeure passe une main sur son visage, puis lui désigne une place, deux rangs derrière moi. Elle a du bien comprendre que cette fille était prête à faire un scandale. Et comme tous les membres de la classe ultra sont des vampires aux parents fortunés, elle a du juger qu'il serait plus intelligent de se laisser faire.

Ce genre d'action me révolte. Mais je ne protesterai jamais, je suis trop faible.

Je peux sentir l'odorant parfum de Cécilia d'ici. La voilà qui discute déjà avec sa voisine de table, hautaine. Cela signifie donc que sur trois membres, deux semblent détestables. Je me surprends à me poser des questions sur le dernier membre, comme si j'allais aussi le rencontrer.

Je souris. Je suis là pour mes études, pour espérer avoir un meilleur avenir que ma mère, esclave de sang. Je veux qu'elle sache que je me démène pour survivre à ce monde, c'est là ma seule détermination. Dans ma famille d'accueil, Roger, le père, avait l'habitude de dire que je n'étais qu'une moins que rien. Il fait partie des gens à qui je prouverai le contraire.

***

La fin des cours de la matinée arrive, et je me rends compte que le niveau est plutôt simple. Je n'aurais pas réellement de mal à suivre. Cécilia sort de classe, et je m'écarte, afin de ne pas me mettre sur son chemin. Il y a eu assez de bousculades ces derniers temps.

Alors que je m'apprête à retourner réviser dans ma chambre d'internat, je me rends compte que la route m'est barrée par deux personnes.

Mince... ça doit être les deux vampires ultra de ce matin...

Cette pensée est vite balayée à la vue de leur uniforme, blanc. Il s'agit bel et bien de vampires "normaux". Ce sont un garçon et une fille, et lorsque j'essaye de les contourner, ils me bloquent en ricanant.

- Toi là, la rêveuse, on t'a remarquée tout à l'heure. Ton odeur est étrange, et l'on aimerait bien savoir pourquoi.

Je serre les poings. C'est une remarque que l'on m'a déjà fait. Cette phrase, en vampire, veut dire qu'ils veulent goûter mon sang. J'essaye de ne pas paniquer, jusque là ça ne m'était encore jamais arrivé. Peut-être que je peux les éviter en restant bien disciplinée? Je me tais, reste immobile. Avec un peu de chance, ils seront aussi sympathiques que ceux de tout à l'heure.

- C'est quoi ton petit nom?

C'est la fille qui m'a demandé, et elle se lèche presque les babines, comme si elle avait en face d'elle un plat exotique appétissant. Je devrais lui répondre. D'une voix hésitante, je lui dévoile:

- Kara Adens.

Le garçon tressaillit.

- Adens... c'est le nom d'une famille de vampires fortunés, ils ont des manoirs un peu partout dans le pays. Pourquoi une humaine comme toi s'appellerait-elle comme ceci?

C'est à moi d'être mal à l'aise. C'est le nom que j'ai hérité de mon père... et je ne sais rien de plus. Le prénom "Kara", signifiant douce mélodie, ou quelque chose comme cela, me viendrait de la famille d'accueil. Mon identité est un mystère.

- Kara Adens, tu me dis quelque chose, murmure la fille.

Subitement, elle se met à paniquer. Ses jambes tremblent presque, et elle attrape son ami par le coude.

- L'Ange Kara... mon père m'avait dit que tu serais à l'école avec nous. Si j'avais su que c'était toi avant, je ne t'aurais pas importuné. Pardon, nous allons nous en aller.

Son ami proteste, pensant probablement qu'il s'agit là d'une boutade. Mais en voyant l'air terrifié de sa camarade, il s'empresse de lui emboîter le pas, et je les entends bientôt chuchoter dans le couloir.

"C'est celle qui a tué son père et sa mère! Elle est dangereuse."

Je soupire, m'adosse au mur. J'ai envie de pleurer.

L'Ange Kara... pathétique.

Je pensais en avoir fini avec cette rumeur mais apparemment non.

Un "Ange", dans ce monde, est synonyme d'assassin. L'Ange est loin de représenter une douce créature venue des cieux, les fesses dénudées, une lyre à la main, dans la culture de ces créatures. Les vampires, êtres démoniaques, considèrent que les Anges sont des bestioles répugnantes et mythiques venant leur voler leur vie. C'est ainsi qu'avec le temps, le terme "Ange" a fini par désigner tout les meurtriers.

A l'époque de ma vie en famille d'accueil, Nelly, la plus âgée des enfants, avait dit à toutes ses amies que j'avais tué ma mère, mon père et la nourrice qui avait pris soin de moi par la suite, une présumée Jane. En effet, ils étaient tous vraiment morts le jour de ma naissance, mais rien ne prouvait que cela était de ma faute. Par la suite, toutes ses amies avaient répété et amplifié cette histoire à leurs mères, qui avaient elles-mêmes fait la même chose... dans toute la ville.

La peur aidant, j'avais finalement acquis une réputation de tueuse de vampires, avec à mon compte plus d'une dizaine de meurtres. Aucune preuve ne permettait de m'inculper; mais tout une ville me haïssait, et je ne pouvais plus sortir de chez moi.

Je pensais que cette histoire s'était essoufflée avec le temps, mais apparemment non. Si j'avais pu m'inscrire dans ce lycée, c'était en partie grâce à ma race: en étant mi vampire mi humaine, je permettais au directeur de montrer qu'il était pour la diversité, le mélange des cultures. Et j'aurais du me douter qu'une hybride orpheline dans mon genre ne se ferait pas oublier si facilement, et que l'histoire rejaillirai, mais je pensais que c'était du passé. Changer de ville n'a donc apparemment pas changé grand chose.

Je ferme les yeux. J'essaye de toutes mes forces de retenir mes larmes. C'est dans ces moments là que j'aimerais avoir une mère, comme toutes ces autres filles. Une maman pour me réconforter, me garantir que tout se passera bien...

Lorsque j'ouvre à nouveau les yeux, il n'y a plus un bruit dans le lycée, et la nuit est tombée. Je me relève en titubant, marche vers le dortoir, mais ne peut ignorer la sensation que j'ai d'être suivie.

Tout de même... j'ai eu droit à assez d'émotions en un jour d'école. Que ce suiveur me laisse aller me reposer, par pitié.

J'arrive en un seul morceau à l'internat, illuminé.

Lorsque je me retourne, je ne vois presque rien, mais je crois quand même distinguer un bout de tissu noir brodé de rouge, et une mèche blonde.

Mean Vampires - Tome 2Où les histoires vivent. Découvrez maintenant