"Armel"
Son seul nom prononcé dans la nuit suffit à Armel pour s'immobiliser.
Il n'avait pas fait trois pas dans la rue sombre depuis la petite porte de la cuisine et le vent glacial avait déjà soufflé hors de son corps toute chaleur.
Mais ça n'était pas le froid mordant qui l'avait fait s'immobiliser, sa main sur une hanche dépourvue d'arme depuis maintenant de nombreux mois.
C'était la voix d'Andreaz."Je t'ai attendu longtemps."
La première pensée qui vint à l'esprit d'Armel fut "moi aussi. Chaque jour pendant des semaines." mais il ne dit rien.
Armel ne disait jamais rien.
Il avait cessé de parler depuis qu'Andreaz s'était remis à le faire, un soir d'été, allongé sur ce grand tapis et la peau d'une froideur mortelle.À la place de répondre, il se retourna lentement vers la provenance de la voix. Il ne voyait pas le visage d'Andreaz mais arrivait à discerner sa silhouette contre le mur, dans la pénombre.
Il portait son éternelle cape sombre identique à celle d'Armel et l'une de ses bottes était appuyée dontre le mur dans une position nonchalante.
Il aimait attendre dans cette position ; Il aimait donner l'impression que le monde pourrait s'effondrer autour de lui et qu'il n'en n'aurait cure.Sans un mot de plus, Andreaz se détacha du mur et s'approcha d'Armel, les pans de sa cape s'ouvrant à chaque pas sur son épée au pommeau d'argent.
L'ombre d'Armel resta immobile sur les pavés, baignée de la lumière de la cuisine dont la porte était encore ouverte ; Celle de Kemil plus large à ses côtés."Je pensais que tu reviendrais me voir" poursuivit Andreaz en posant désormais sa main gauche sur le fourreau de son épée "Pas que tu resterai aussi longtemps dans une maison que tu ne connais pas... " l'ombre de Kemil se mit à bouger sur les pavés "entouré de personnes dont tu ne comprend pas la langue et qui auraient pu faire de toi ce qu'ils veulent."
Les mots d'Andreaz étaient amer, prononcés avec une rage à peine contrôlée qui n'effrayait plus Armel mais qui l'intriguaient.
Andreaz n'avait pas pour habitude de montrer ses émotion comme cela. Pas ailleurs que dans une chambre fermée, isolée de tout et dans laquelle il pouvait récupérer une part de son humanité dans les bras d'Armel.Mais ils n'étaient pas dans une chambre ce soir là. Ils étaient dehors, dans une ruelle d'une ville inconnue à Armel et à peine familière à Andreaz. Ils étaient devant un homme, un inconnu, à la carrure imposante qui se tenait désormais sur ses gardes derrière Armel.
"Armel"
Cette fois c'était la voix de Kemil dans son dos qui l'appelait avec calme mais fermeté. Kemil qui ne comprenait pas leur langue ; Kemil qui ne devait pas connaître Andreaz, qui ne devait rien savoir de leur relation et qui devait percevoir le vampire comme un danger.
Mais Armel ne dit rien et ne fit aucun mouvement. La silhouette dans son dos, elle, se mit à bouger, rapidement. Trop rapidement.Avant qu'Armel ne puisse réellement comprendre ce qu'il se passait derrière lui, Andreaz sortit son épée de son fourreau dans un mouvement vif et précis, les sourcils froncés et les lèvres pincées.
Il était agacé. Mais derrière cette irritation se cachait autre chose qu'Armel n'eut pas le temps de déchiffrer.Kemil l'avait dépassé, son corps plus grand et plus large que le sien était entré dans son champ de vision, une fine dague dans sa main gauche, une plus épaisse dans sa main droite.
Kemil ressemblait à un soldat. Un soldat qui était passé maître dans l'art de tuer de toutes les manières possibles. Et, malgré sa gentillesse à l'égard d'Armel, il lui faisait peur.
Le corps de Kemil, sa position, ses armes, tout en lui criait le danger.Mais Armel n'avait pas peur pour lui-même. Il savait que l'animosité de l'homme à la peau sombre n'était pas dirigée à son encontre.
Elle était dirigée contre Andreaz.Et Andreaz commençait à s'énerver.
Armel poussa un soupir tandis que les deux hommes se faisaient face en silence dans la Ruelle ; Kemil avec ses deux dagues, Andreaz avec son épée. Et ses crocs.
Armel n'aimait pas la violence, il avait grandit entourée de celle-ci et n'en gardait que des mauvais souvenirs.
Quand Andreaz lui avait tendu la main un jour, lui avait dit de se lever et de laisser tomber son couteau, Armel avait accepté.
Il avait laissé derrière lui une enfance qu'il n'avait pas aimée et avait glissés ses doigts maigres et sales dans ceux, chauds et doux d'Andreaz et avait laissé l'adolescent le tirer sur ses pieds.Il s'était laissé conduire dans une calèche, dans une grande maison aux abords de la capitale puis dans une immense salle d'eau.
Ce jour là Andreaz l'avait déshabillé sans un mot et l'avait regardé longuement avant de lui désigner une baignoire pleine d'eau chaude.
Quand Armel s'y était immergé pour la première fois de sa vie, il avait fermé les yeux de plaisir.
Quand il les avait rouvert Andreaz avait été à genoux près de la bassine de cuivre, sa tête posée sur ses bras nus et ses yeux noirs l'avaient fixés avec attention. Avec tendresse.
Puis ses lèvres s'étaient pincées un instant et il avait finit par soupirer."Tu n'auras plus jamais besoin de te battre désormais. Je t'offrirai une vie douce. Tu seras heureux."
Mais Andreaz avait échoué. Et il se tenait aujourd'hui face à un homme, armé, le corps froid et le visage dénué de toute autre émotion que la contrariété.
Il se tenait devant un Armel dont le corps était couvert de cicatrices, dont la gorge était protégée de cuir et dont la main droite se refermait par réflexe autour d'un couteau qu'il ne possédait plus.Andreaz avait échoué.
Et Armel lui en voulait.
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Armel & Andreaz : Le Nouveau Monde
VampirArmel avait attendu Andreaz pendant trois jours et trois nuits durant. Et il le referait, il ferait tout pour rester près de l'homme qui l'avait sauvé de la misère il y a quelques années de cela. Même si "tout" implique de soutenir le nouveau vampir...