Je sais pas ce qui s'est passé ce soir là, mais j'ai senti quelque chose me frôler le bras... quelque chose qui me rappelait vaguement la sensation que j'avais eu en tenant un os de poulet... J'étais éveillé... ou pas... peut-être que mes nerfs me jouent des tours.... ou alors c'est maman qui est venue me dire bonne nuit... mais j'ai gardé les yeux fermés de peur que ce soit... quelque chose d'autre.... non, ça existe pas ! C'était maman ! C'est sûr !

Après la messe, alors que je raccompagnais ma mère chez elle, nous vîmes un regroupement de personnes, hurlant, sifflant, huant quelque chose ou quelqu'un... Nous nous approchâmes donc et, pour la première fois dans cette bourgade, je vis de la couleur. Je m'avançai donc, ma mère tenant mon bras, et, quand nous fûmes tout près du lieu où se tenait le groupe, je fus pris d'un haut-le-cœur ; devant nous, à quelques mètres seulement, se trouvait attaché à un poteau, un amas de chair sanguinolent dont les plaies béantes et nombreuses, semblables à des bouches innombrables, donnaient l'impression que des cris de douleur s'échappaient par chacune d'entre elles. Je restais là, à la fois fasciné et horrifié par ce tableau cauchemardesque, dans lequel mon regard se perdait , ne comprenant pas pareil spectacle. Et alors que je sentais une peur viscérale monter en moi, une forte traction s'exerça sur mon bras, m'emmenant loin de la monstruosité et de la sauvagerie de cette scène, restée gravée dans ma mémoire malgré les années écoulées et qui continue encore et toujours de hanter mes nuits les plus agitées. Ce jour-là, j'avais vu un bûcher pour la première fois.

L'obscurité, étrangère imprévisible ou amie sincère, vous attire dans ses tréfonds, vous encercle, vous envoûte, faisant de vous un prisonnier volontaire. Mon esprit me criait de bouger, de me battre contre ces sombres liens, de soulever le voile de ténèbres qui m'entraînaient peu à peu vers les abysses de l'inconscient. J'aurais pu m'en défaire, mais j'étais bien, si bien... Je sentais cette douce torpeur se glisser dans mes veines, arriver à mon cœur et en ralentir les battements. Tout était calme, serein et pourtant mes oreilles sifflaient, comme agressées par ce silence assourdissant. Je ne savais depuis combien de temps j'étais là, sombrant dans le noir, étais-je destiné à me faire engloutir par les ténèbres, à les laisser prendre le dessus ?

1201, 20 printemps avaient déjà été écoulés depuis le début de la Grande Wrieg qui opposa l'armée du seigneur Platinsk Klamer II aux troupes de son voisin le sieur Platin Grismaldr. Ces deux royaumes bien qu'autres fois alliés, avaient cédé à la tentation d'être seul maître des mines de la face nord des Dunklsten. Cette chaîne montagneuse qui depuis longtemps n'avait attiré l'attention de personne avait, après un glissement de terrain, montré que dans ses entrailles se cachaient bien plus que des charançons. De cette cupidité, avait résulté la guerre la plus meurtrière de ces cinq-cent dernières années, et certainement la plus coûteuse de toutes. Le seigneur Grismaldr, voyant ses effectifs diminuer et ses biens s'évaporer avait, non sans rechigner, demander l'armistice entre les deux états à son ennemi qui, dans sa magnanime bonté, n'exigea de lui que le quart de son impôt sur le blé, ainsi que la main de sa fille pour que l'alliance soit à jamais scellée.