J'ai appris à vivre.

Des ratures. Encore des ratures. Cela faisait alors deux ans que je m'obstinais à achever mon roman, cependant, je n'avais pas encore réussi à clôturer le premier chapitre. La lecture m'a sauvé de nombreuses fois de ma solitude, mais elle ne suffisait plus ; l'écriture restait mon unique mode d'échappatoire pour rêver d'une vie meilleure. Paradoxalement, l'effet escompté était inverse : cela me rongeait, je n'en dormais plus, cela m'obsédait car je n'arrivais pas à écrire. Tout ce que je parvenais à romancer n'était que des bribes d'œuvres littéraires que j'avais lu auparavant, en d'autres termes, je faisais du plagiat maquillé. Le problème, je m'en suis aperçue très vite, était que je n'avais rien vécu de ma vie. Rien, vraiment. A presque vingt ans, je n'avais eu de soirées, d'amis, de petit copain. Je n'avais jamais bu d'alcool, fumé, fait des bêtises d'adolescents. En bref, j'ai simplement erré dans ma solitude en comblant mes manques par les lectures. Toutes ces choses que j'étais censé, plus ou moins, avoir expérimenté étant jeune, je les ai vécues par procuration. Il me fallait vivre pour terminer mon roman, quitte à faire les choses les plus dingues.