Chaque pas était mesuré, calculé, un équilibre fragile entre silence et rapidité. Les prédateurs ne manquaient pas. Et ils n'étaient pas tous des bêtes.
Son souffle formait de petits nuages blancs devant son visage, et malgré les canapés de vêtements usés qui recouvraient son corps maigre, elle sentait l'hiver s'insinuer sous sa peau, ronger ses os. Elle s'arrête un instant, tendit l'oreille. Rien. Pas un oiseau, pas un craquement. Seulement le murmure du vent dans les branches mortes.
Elle connaissait cette forêt. Elle l'avait apprivoisée. Un abri fragile au milieu du chaos, mais un abri tout de même. Elle avait appris à lire ses signes, à sentir quand elle était seule... et quand elle ne l'était pas.
Aujourd'hui, elle ne l'était pas.
Un frisson coule le long de sa colonne vertébrale. Pas de bruit, pas d'ombre furtive entre les arbres, mais une sensation sourde, une certitude instinctive qu'elle n'était plus la seule à fouler ce sol glacé.
Lentement, elle recula, effaçant ses traces derrière elle, jusqu'à atteindre l'orée du bois. À quelques centaines de mètres, dissimulée derrière un enchevêtrement de ronces et de branchages, sa cabane dans les arbres dominait une petite clairière. Son sanctuaire.
Elle grimpa rapidement à l'échelle de corde et referma le piège derrière elle, s'accordant enfin un soupir. Ses muscles se relâchèrent, juste un instant.
Puis elle se figea.
En bas, à la lisière des bois, une silhouette se dessinait dans la brume. Immobile.
Un homme. Grand, massif, un fusil en bandoulière.
Même à cette distance, elle le savait.
Ce n'était pas un pilier affamé. Pas un rôdeur désespéré. Il bougeait trop lentement, trop calmement.
Il la traquait.
Eilidh venait d'être repérée. Et elle savait que les hommes comme lui ne lâchaient pas leur proie.
Elle ne se souvenait pas du moment précis où elle avait chuté.
Juste le froid brutal de la mer, les rochers, le silence... puis un sable trop pâle, un ciel trop vaste, des voix qu'elle ne reconnaissait pas.
Tout semblait familier. Et pourtant... absolument rien ne l'était.
Le vent portait des mots étranges. Des hommes en manteaux sombres s'affairaient autour d'un navire. Des regards lourds, méfiants, curieux. Une époque qu'elle n'avait jamais vécue.
Quelque chose avait changé.
Elle n'était pas censée être là.
Mais elle l'était.
Et eux non plus ne savaient pas pourquoi.
Deux capitaines. Deux hommes liés par un même serment.
L'un au regard froid comme la mer, l'autre à l'allure vive et insaisissable.
Tous deux bouleversés par cette présence tombée du ciel.
Tous deux ignorants du danger que cela annonçait.
Le monde venait de basculer.
Une faille s'était ouverte quelque part entre le sable, la mer... et le temps.
Et désormais, tout allait en dépendre.