Chapitre I
La Grande Maison
Il y avait des jours comme ça. Des jours où je n'avais rien à faire
d'autre que « glander » dans la ville et tuer le temps. Je me trouvais dans
un café parisien. La vitrine de la véranda faisait face au jardin du
Luxembourg, les vitres teintées ou sablées, aux motifs de dentelle
laiteux, rappelant le style des années 1900. Je regardais au-dehors,
laissant mes yeux traîner paresseusement sur la foule qui se déplaçait à
sa manière habituelle, agitée et pressée. De temps à autre, mon regard
était attiré par une silhouette qui se détachait des passants par son
attitude flâneuse ou parce qu'elle exprimait une franche gaieté, tellement
rare dans cette ville dont tout le monde prétend qu'elle est la plus belle
du Monde. On peut rêver. Le ciel était gris, du même gris que la plupart
des façades austères d'un autre siècle. Les arbres du parc n'avaient pas
encore retrouvé leurs feuilles et un vent frais de fin d'hiver poussait les
gens à remonter leurs cols.
A l'intérieur du bistrot régnait une atmosphère plus feutrée et chaude.
Entre les tables rondes de marbre blanc cerclé de laiton, le va-et-vient
des garçons vêtus de tabliers bleus et de gilets noirs aux poches
multiples, me faisait penser au film de Claude Sautet, « Garçon », avec
Yves Montand.
-"Et un express pour le quinze, deux demis et un sandwich jambon,
beurre, cornichons, trois Perroquets au nombre." criait l'un d'eux,
pendant qu'un autre essuyait la table à côté de moi avec un chiffon
blanc, censé être immaculé. Le cliquetis des petites cuillères, le
tintement des tasses, le bruit des pieds de chaises qui frottaient sur le sol
quand un client se levait, les chuchotements et les rires, parfois des
éclats de voix des uns ou des autres, créaient une symphonie
particulière, « la symphonie des brèves de comptoir ». Près de moi, à
deux tables, le dos tourné vers le coin de la pièce, un homme à la
chevelure poivre et sel, portant .All Rights Reserved