Dans ma tête, je retrouve souvent, en filigrane, l'image d'une bicyclette rouge. Mon père me l'avait offerte pour mes trois ans. Ce petit vélo annonçait bien d'autres deux-roues... Alain Thomas était un passionné de cyclisme. Son métier de reporter sportif au « Petit Parisien » lui donnait l'occasion de coudoyer les champions. Il réussit à me transmettre le virus de la bicyclette. C'était l'époque où les vélodromes ne désemplissaient pas. J'y accompagnais papa dès mes cinq ans. En août 1912, j'assistais à l'exploit du Suisse Oscar Egg, qui accomplit 42,360 km dans l'heure. Le 13 janvier 1913 débutaient les premiers Six-Jours de Paris, au Vél'd'Hiv, rue Nélaton. Puis vint la guerre, l'horrible guerre qui me prit ma mère lors du bombardement de la gare Saint-Lazare. Et puis, plus tard, les canons se turent. Henri Desgrange eut la bonne idée de ressusciter le Tour de France. J'y accompagnai papa pour y trouver mes étoiles, le goût de l'aventure et la soif de liberté. J'y rencontrai la belle Amandine qui plaisait aussi beaucoup à mon père. Je me liai d'amitié avec Etienne Besson, jeune coureur inconnu, qui allait menacer l'hégémonie des champions confirmés. Etienne qui portait un très lourd secret lié à la guerre 14-18. Je suis né pour de vrai à treize ans sur le Tour 1919. J'ai compris cet été-là que personne n'était ni tout à fait bon ni tout à fait mauvais. J'ai compris aussi que j'étais responsable de ma vie et qu'il ne dépendait que de moi d'en être le brillant architecte.