Répondre à la question posée n'est pas une mince affaire. Alors que la grossophobie enfle et que le taux d'obésité explose en France, la question des mots à employer pour désigner ce phénomène est une question cruciale.
Il est vrai que le mot gros n'est pas très agréable à l'oreille. Composé de « grr » et de « rot » il parait avoir été créé pour humilier celui qui en est qualifié. Les mots qui se terminent en « o », comme dodo, pot, ou rot que nous citions tout-à-l'heure, sont des mots bébés ou grossiers. Justement: les mots dérivés de gros (grossier, engrosser) ne sont pas des plus flatteurs.
Cependant, n'est-ce pas notre oreille occidentale contemporaine, toute embourbée dans la grossophobie dans laquelle macère notre société, qui prête au mot « gros » ces évocations peu flatteuses ? Ne pourrait-on pas imaginer, également, que « gros » soit formé de « grand » et de « beau »? Et le son « o » qui arrondit les lèvres pourrait bien être une évocation poétique et musicale de la rondeur.
Affirmer cela parait un peu gros lorsque l'on se penche sur les injures que subissent les personnes en surpoids au quotidien. Ce mot est même parfois employé comme une insulte: « Sale gros! Sale grosse ! » Mais est-ce pour autant que ce mot est illégitime ? Crier à quelqu'un « Sale arabe! » par exemple, fait-il du mot arabe un mot illégitime ?
Il est fort aisé de répondre de but en blanc qu'il paraît inconcevable de parler d'illégitimité pour un mot qui ne désigne qu'un état, qui ne décrit qu'une silhouette. Mais avant de nous avancer plus loin dans la réflexion, examinons ce que signifie réellement « légitimité » et en quoi un mot peut-il être légitime ou illégitime.
Afin de répondre à cette épineuse question, je m'empare du dictionnaire qui siège sur une étagère de mon salon. Ne souhaitant pas donner l'impression de faire un placement de produit (mais qui me paierait sérieusement?) je ne citerai pas le nom de cet épais ouvrage.
Le volume entre les mains, je lis :
1.Qui est consacré par la loi ou reconnu conforme au droit. Union légitime (opposé à union libre). — (opposé à naturel) Père légitime. Enfant légitime.
2. Conforme à la justice, à l'équité. ➙ équitable. Salaire légitime, mérité. — DROIT Légitime défense*.
3. Justifié (par le bon droit, la raison, le bon sens). ➙ juste. Colère, satisfaction légitime.Le sens pris par le mot « légitime » lors de notre réflexion est sans conteste le troisième, étant donné que le surpoids n'a pas d'existence juridique. Il est donc demandé si le mot « gros » est justifié par la raison ou le bon sens. Étant donné qu'il existe en effet des personnes disposant du charge pondérale très importante, il est évident que la réponse est oui.
Cependant, nous devinons bien que ce n'est pas le sens réel de la question posée par Juste Espoir qui prête probablement un autre sens au mot « légitime » alors, arrondissons sa définition et montrons le sens caché de sa question, que nous utilisons déjà, fourbes que nous sommes, dans notre introduction:Le mot gros/grosse est-il acceptable, justifié et respectueux pour désigner les personnes en surpoids ou en obésité ?
La réponse est non si « gros est insultant », et oui s'il n'est pas insultant, appartient au registre courant (il ne s'agit pas d'utiliser des termes médicaux) et désigne effectivement les personnes présentant un excès de masse graisseuse.
Voici ma réponse: le mot gros n'est pas un gros mot. J'en veux pour preuve les définitions des dictionnaires (« qui est plus large et plus gras que la moyenne), l'usage qu'en font elle-même les personnes concernées (Gabrielle Deydier, auteure de premier plan sur la question qui a écrit On ne naît pas grosse se définit elle-même comme grosse, et on parle de « grossophobie » ce qui sous-entend que le mot n'est pas insultant : on ne parle pas de pédalophobie, de gouinophobie ou de youdophobie car lutter pour cesser les insultes et les discriminations envers des personnes qu'on insulte rien qu'en nommant cette lutte n'a aucun sens. De plus, « gros » appartient au langage courant et désigne les personnes en surpoids. Donc , au sens strict comme au sens large, ce mot est légitime.
Je fais confiance à l'évolution naturelle des langues, qui se laissent porter par les vents capricieux des sociétés, et par ceux, plus doux, du hasard. Jamais un mot ne s'est perdu, jamais une locution n'est arrivée à mauvais port. Si le mot gros devait devenir exclusivement ou majoritairement péjoratif, alors un nouveau mot paraîtra: et le mot gros sera légitime pour définir les personnes rondes de manière péjorative, et l'autre mot pour les définir simplement. Cependant, aujourd'hui, le mot gros remplit le rôle, la plupart du temps, de l'autre mot. Alors, exclure le mot « gros » c'est exclure le gros du langage, c'est lui ôter la seule place qu'on lui accordait dans notre société, sans exclure pour autant la grossophobie. La langue et les mots sont nos refuges et l'étendue du vocabulaire, son évolution permanente et son infinie extensibilité, sont garantes, plus que tout autre chose du monde, de l'expression de toute la complexité humaine, et surtout, d'une place pour chacun.
YOU ARE READING
Concours d'Espoir
القصة القصيرةtexte(s) argumentatif(s) pour le concours d'hiver de juste espoir