Notre vie peut être déterminée par certains moments. Parfois, un élément perturbateur pointe le bout de son nez dans notre existence bien rangée et que nous pensons contrôler pour nous faire voir notre futur autrement. Nous devons faire des choix en fonction des évènements qui font irruption, prendre en compte des paramètres qui surgissent de nulle part et qui provoquent l'évolution de notre destinée. C'est cela qui fait que nous devenons adultes et responsables. Décider de ce qui sera bon pour nous, et risquer de se tromper en désirant pourtant de tout notre cœur, être dans le juste.
Je me souviens de ma discussion avec Colin, le soir de notre rencontre, dans ce club. Je le revois me demander timidement si je viens souvent ici, et par la même occasion s'enquérir, de manière implicite, de mes préférences sexuelles. Et je me réentends lui répondre que même si je ne suis pas forcément gay, j'apprécie cet endroit. Il en a déduit que j'étais hétéro. Et j'ai adoré ça, le perdre, le manipuler avec ma tournure de phrase à la con, afin qu'il croie savoir, mais qu'il se trompe sur toute la ligne.
Je n'ai jamais aimé me définir. J'ai longtemps imaginé que j'étais destiné à une femme. Jusqu'au jour où un garçon m'a donné envie de plus et que ce plus m'a définitivement plu. Alors je suis juste ce que je suis. Je ne souhaite pas mettre un mot, une étiquette là-dessus. Car rien n'est figé. À mes yeux, rien n'est sûr.
Surtout depuis ce jour-là...
Je croyais ne pas être fait pour aimer. Je m'étais complètement trompé. Sans que je comprenne comment cela a été possible, Calvin s'est infiltré dans chacun des pores de ma peau à partir de l'instant où mes iris se sont posés sur lui, devant cette mairie. Pour ne plus jamais en ressortir. En prenant toute la place. En enlevant à quiconque sa chance de rentrer dans mon existence... à considérer que quiconque aurait pu avoir cette chance un jour.
Quelques jours après le mariage, je suis retourné à New York. J'y avais un appartement, en collocation, des affaires, une partie de ma vie. J'y avais quelques engagements professionnels, des aventures, des histoires, un semblant de bonheur.
Mais à peine y ai-je mis les pieds que je voulais en repartir.
***
Assis dans mon canapé, les doigts pianotant sur ma cuisse, le regard perdu vers l'extérieur par la fenêtre ouverte, une cigarette entre les lèvres, la voix et la guitare d'Éric Clapton envahissant le salon, j'attends. Une réponse, une solution. Ou peut-être juste que ma tête arrête de partir dans tous les sens.
Mon séjour en Angleterre n'a pas duré plus de dix jours, néanmoins il m'a permis de profiter de mes amis et de ma famille. Les soirées avec mes potes ont été riches en émotions et en boissons - en gueule de bois aussi - je suis si occupé ici que je ne m'aperçois pas à quel point ils me manquent. Même si nous sommes en contact étroit, je me rends compte que je rate pas mal d'évènements. Luka et sa petite amie, Elsa, ont des projets de famille, je ne connais pas vraiment le copain de Scott, Hugo fréquente une fille - que j'ai à peine rencontrée - depuis quelques mois, Élias s'est enfin associé pour ouvrir sa propre clinique vétérinaire - dont j'ai loupé l'inauguration. Jusque-là, tout cela passait au second plan, mais depuis que je suis rentré, j'ai plus l'impression de me conduire comme un égoïste que comme un véritable ami.
Mes parents m'ont aussi fait comprendre que je leur manquais. Ils sont conscients que je mène ma vie comme je le souhaite toutefois, je reste leur fils unique et l'océan qui nous sépare est une barrière pour eux. Ils m'ont bien rendu visite, mais je crois qu'ils voudraient réellement que je revienne à la maison. Quitte à me voir squatter ma chambre d'adolescent quelque temps.
Personne ne m'a jamais fait aucune réflexion quant à mon désir de venir m'installer ici - à part Scott une fois ou deux, mais je ne lui en ai pas tenu rigueur, il était dans une période difficile. J'ai foncé tête baissée dans cette envie qui devenait plus forte de jour en jour. Je n'ai écouté que mon souhait de m'émanciper, de voler de mes propres ailes - en solo -, de percer comme on dit, de vivre de ma passion. J'y suis arrivé, même si ce n'est pas la gloire, la musique m'apporte assez pour payer les factures, je me suis fait une place, pourtant à l'instant présent, je ne ressens qu'un grand vide.
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Quelques secondes Tome 2 (Sous Contrat D'édition)
Short StoryDepuis qu'il s'est installé à New York, deux ans plus tôt en espérant percer dans la musique, Sacha gagne sa vie grâce à des cachets lors de ces brèves apparitions dans des bars. Il profite au maximum de cette expérience tout en ayant un arrière-goû...