Lodovica ne sourit pas. A l'école, elle participe au discussion seulement si le maître le professeur la désigne par son nom. Ses réponses sont juste, réfléchies et efficaces, ses observations astucieuse et sensées. Lodovica aime l'école car la musique des paroles berce sa solitude et l'école nourrit son espoir d'être un jour capable de lire dans l'encre étalée sur la feuille usée de la lettre. Les filles la laissent tranquille dans son isolement.
Les garçons, par contre, tentent de se faire remarquer, de s'insinuer dans son Univers, de l'attirer dans leurs rayons de chaleur. Une chose que Lodovica ne peut pas cacher, c'est sa beauté. Tous, ils ne rêvent que de la toucher, la palper. Ils aimeraient, au moins, recevoir le regard de ses yeux bruns/verts, ce regard réservé au sol, au ciel ou aux pages des livres. Ils lui apportent des gâteaux qu'ils posent sur la table et qui restent là jusqu'au passage de la personne de service. Lodovica n'est pas impolie, seulement, elle n'a jamais goûté un gâteau et ça lui fait peur. Germaine et Précieuse n'en mangent pas. Parfois, elle trouve une confiserie alléchante ou un fruit exotique, mais elle sait qu'il y a des règles et qu'il ne faut pas manger entre les repas.
Souvent on lui passe des mots. Ca ne lui vient pas à l'esprit des les déplier. Elle ne connaît donc pas les messages : "Lodovica je t'aime." "Tu es belle, mange mon gâteau." "Je t'invite à ma boum mercredi prochain.". Mots d'amour pleins d'espoir efficace. Pendant les récréations, elle lit sur un banc ou sous le préau. A la fin de la classe, elle part directement pour la maison. Elle ne regarde ni à gauche ni à droite. Certains la suivent en rêvant qu'elle lâcherait un mot en leur direction. Ils savent où elle habite, ils guettent ses sorties, ils vivent dans l'attende d'un bonjour.
La vie de Lodovica n'avait pas de faille. Elle se répétait quotidiennement de la même façon. Il n'y avait pas de surprises... jusqu'à ce lundi de début novembre. La directrice fit irruption dans la salle de classe, poussant devant elle un nouvel élève.
- Je vous présente Ruggero Pasquarelli. Il fait désormais parti de votre classe.
Lodovica eut un léger choc. Ce Ruggero était différent des autres, habillé un peu comme elle, blazer bleu marine, jeans plissé, chemisier strict. Et comme la table à côté d'elle était la seule libre, le professeur le plaça là. Il s'assit en lançant à Lodovica, à brûle pourpoint et sans complexe un franc bonjour. Elle ne put faire autrement que de le lui rendre.
Quand le maître donna un livre à son voisin. Loovica lu indiqua la page. Elle était bien obligé. Chaque fois le maître lui disait :
- Lodovica, je compte sur toi pour expliquer au nouveau.
Lodovica exécutait l'ordre comme un robot, sans regarder le garçon, en s'assurant qu'il comprenait, par un :
- Nous sommes d'accord, n'est-ce pas ?
Et il gratifiait d'un énergique :
- D'ac Mac !
A la récréation, au lieu de se joindre aux autres garçons, il suivit Lodovica jusqu'à son banc et il fit ce qu'elle faisait, lire un livre, sauf qu'il n'en avait pas. Il lut alors le sien, assis tout près d'elle, forçant ses yeux à garder le rythme et être prêts quand elle tournait la page.
A la fin de la récré, Lodovica ferma le livre et retourna dans la classe avec Ruggero à sa remorque. A l'heure de la cantine, Lodovica mit son manteau pour reprendre le chemin de la maison avec Ruggero encore à ses trousses pendant tout le trajet. Quand elle ouvrit la porte d'entrer, il lui cria :
- J'habite un peu plus loin. Je viendrai te prendre tout à l'heure. Bon appétit !
Il l'attendait quand elle ressortit. Lodovica marchait d'un pas déterminé comme si Ruggero n'était pas là. Pour bien lui faire sentir sa présence, il lui prit le bras et l'interrogea :
- Ca fait longtemps que tu habites ici ? Lodovica hocha la tête. Tu ne manges jamais à la cantine ? Elle fit non de la tête. Tu as des frères et soeurs ? Sa tête bascula de gauche à droite. Tes parents sont-ils sévères ?
Peu importait à Ruggero que Lodovica réponde ou pas à son interrogatoire, il avait assez de conversation pour deux.
- Mes parents sont très sévères : on n'a pas le droit de regarder la télé avant d'avoir fini ses devoirs. Quelle est ton émission préférée ? Quel est ton plat préféré ? Qui est ton chanteur préféré ? Qu'est-ce que tu fais comme activité le mercredi ? Moi c'est piano, chant et guitare. Où allez-vous en vacance ? Est-ce que tu fais une collection ? Moi c'est les papiers métalliques des tablettes de chocolat. As-tu visité un pays étranger ? Tes parents te permettent-ils d'aller à des soirées ?
Lodovica, si bonne élève, se révélait une cancre accompli ; elle ne put répondre à une seule question. Elle ne connaissait le nom d'aucun chanteur, d'aucun programme de télévision. Son plat préféré ? On mange ce que l'on vous donne. La fréquence de la soupe dans son bol devait la mettre en haut de la liste. Mais elle n'avait pas de tendresse particulière pour la soupe. Quant à une collection, la seule chose à quoi elle pensa, c'était les cinquantes-septs marches de son immeuble, ou ses pas jusqu'à l'école (souvent elle les comptait), ou les minutes qui rongeaient la journée sans même qu'on s'en aperçoive, ou bien les autres sortes de minutes qui traînent comme un poids mort.
- J'ai assez posé de questions pour le moment. Tu n'en aurais pas quelques-unes pour moi ?
Lodovica était inquiète. Personne ne lui avait jamais posé de question et elle n'avait pas appris à en formuler. En plus, la curiosité appliquée aux gens qu'elle croisait n'était pas très développée en elle. N'empêche qu'elle cherchait. Elle se grattait une partie du cerveau jusqu'ici inutilisée pour extraire le moindre petit point d'interrogation. Mais rien ne parvint jusqu'à sa bouche. Elle avait pourtant envie de lui être agréable. Comme si il comprenait son désarroi. Il lui dit :
- Ca ne fait rien Lodovica. Tu es tellement belle que tu n'as pas besoin de parler pour te rendre intéressante.
Il tenait encore fermement son bras. Lodovica n'en croyait pas ses oreilles. Elle ? Belle ? Première nouvelle. Une question... Une question. On ne posa pas de question si on ne veut pas savoir la réponse. Elle tourna ses yeux vers lui et se mit à bégayer :
- R-R-R-R-Ruggero! proclama-t-elle. Pourquoi on t'a prénommée Ruggero ? Elle s'attendait à une commémoration historique.
- Parce que je suis née après 12 filles. Mes parents voulaient tellement un garçon qu'ils ont essayé treize fois. Je suis leur Ruggero, c'est Italien. Je n'aurais jamais penser rencontrer une italienne ici.
Lodovica se demandait si la douzième fille s'appellait Disfatta. Elle soupira :
- Douze soeurs ?!
- Maintenant il y en a treize. Ma mère voulait tenter sa dernière chance pour un autre garçon. C'est raté. Une fille. Elle a six mois.
- C'est une armée, pensa Lodovica.
Toute l'après-midi, elle n'arrêta pas d'imaginer Ruggero entre treize filles. Ca la déconcentrait mais elle était si rodé à l'école que le travail se faisait tout seule. Ruggero la suivait toujours. A la récréation, il continua la lecture par-dessus l'épaule de Lodovica. Les autres garçons de la classe faisaient un cercle silencieux de hargne autour d'eux, mais le "couple", imperturbable, n'y fit pas attention.
Quand, à la fin de la journée, le maître remit à Ruggero une tour biscornue de livres en lui disant de les couvrir pour le lendemain, il planta la moitié dans les bras de Lodovica, avec cet ordre :
- Tu m'accompagnes !
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Lettre d'amour de 0 à 10
Teen FictionLodovica a seize ans. Seize ans de vide : sa mère est morte le jour de sa naissance et son père a disparu. Seize ans d'ennuie : sa vie avec sa grand-mère, prénommé Précieuse, n'a rien de très exaltant : école, goûter, devoirs, soupe. Pas de téléphon...