Chapitre 1

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— Rassure-moi, tu comptes venir, n'est-ce pas ? m'interroge Axel dans la file d'attente pour passer notre commande.

— Où ?

Il me lance un regard exaspéré. L'humour n'est apparemment pas de mise ce matin.

— Il faut que tu viennes, cette année plus que les autres, poursuit-il en avançant d'un pas.

À ce rythme, nous ne sommes pas près d'arriver au comptoir.

— C'est justement en raison de la particularité de ce Noël que je préférerai m'abstenir. Je ne suis pas d'humeur à la célébration.

— Toute la famille doit se réunir. C'est important. Si tu ne le fais pas pour toi, pense à nous.

Axel n'est pas l'ainé pour rien. Il sait parfaitement de quelle manière obtenir de Mathéo et moi ce qu'il estime nécessaire. Sans lui, j'ignore ce que notre famille serait devenue.

L'expression de l'impatience des personnes derrière nous me tire de mes pensées. Depuis dix minutes, nous avons dû avancer de trois pas maximum. Seraient-ils en sous-effectif ? Les vacances n'ont pourtant pas encore démarré. Heureusement que nous sommes dimanche et qu'aucun de nous deux ne travaille.

— Alors, est-ce que tu seras des nôtres ?

— Oui.

— Parfait. Est-ce que tu veux que je passe te prendre ?

— Merci, mais je vais me débrouiller.

L'expression de son visage m'indique que je n'ai pas intérêt à me débiner, ce que je ne ferais pas. Mais cela ne signifie pas que je ne puisse pas m'y rendre le plus tard possible. Connaissant mon frère, il prévoit d'y aller plusieurs jours en avance afin d'aider notre père dans l'organisation des festivités. Être la dernière de la famille à pointer son nez n'est pas pour me déplaire. Plus tard j'arrive, plus tôt j'en repars et moins cela me demandera de forces pour supporter cette overdose de bonne humeur et de bons sentiments. En dehors de cette époque, je n'ai rien contre, mais à celle-ci cela relève du cauchemar pour moi. Mes frères gèrent ces jours-là beaucoup mieux que moi ou du moins en donnent l'impression. J'ignore de quelle manière ils y parviennent. Pour Mathéo, je suppose que la naissance de ses enfants y a fortement contribué. Noël est toujours magique dans leurs petits yeux innocents. Mais Axel ?

Au bout de vingt minutes, nous parvenons enfin jusqu'au barista.

— Toutes nos excuses pour l'attente. Désirez-vous goûter nos nouvelles spécialités de Noël ? Elles sont disponibles en avant-première aujourd'hui seulement, m'informe-t-il.

Voilà qui explique cette soudaine cohue. Les guirlandes accrochées au mur ainsi que le chapeau de Noël du serveur auraient dû me mettre la puce à l'oreille. Vivement la nouvelle année.

Je m'empresse de débiter ma commande avant de rejoindre la file pour récupérer ma boisson. Encore une. Et ce n'est que le début. D'ici quelques jours, il en sera de même dans de nombreux magasins, entre les achats de cadeaux, de décorations... Rien que d'y penser, j'en déprime d'avance.

— Où veux-tu que nous nous installions ? me demande mon frère une fois nos cafés récupérés.

— Là où tu trouveras de la place.

La majorité des sièges sont déjà occupés bien que l'établissement dispose d'un vaste espace.

Une heure plus tard, je suis de retour chez moi. N'ayant pas relevé mon courrier depuis deux jours, je fais une halte à ma boite aux lettres qui s'avère davantage remplie qu'à l'ordinaire : un prospectus pour des jouets, puis un autre et un troisième... Au total, j'en compte sept ainsi que trois pour de la nourriture et une publicité pour l'ouverture d'un nouveau magasin de sport, mais aucun « vrai » courrier. Je prends la pile et la jette dans la poubelle prévue à cet effet. Tous, sauf le papier concernant la nouvelle boutique. Ce dernier peut me servir. Il me faut une nouvelle paire de chaussures de courses. Les actuelles risquent de ne pas survivre à mon prochain séjour en famille.

Trois étages plus tard, je regagne mon appartement exempte de toute trace de Noël. L'apaisement me gagne. D'ici peu, il représentera l'un des rares lieux qui ne me rappellera pas avec insistance le pire Noël de mon existence, vingt ans auparavant.

Pour espérer profiter du reste de la journée, il me reste une dernière formalité à accomplir, ouvrir la conversation de la fratrie Donoan et rattraper mon retard.

Mathéo

Alors, elle vient ?

Axel

En principe, oui.

Moi

Les gars, je vous rappelle qu'il s'agit d'une conversation commune et non privée entre vous !

Mathéo

Merci de daigner participer.

Moi

Avec plaisir.

Axel

Ne commencez pas tous les deux. Concentrez-vous sur l'important. Mathéo, tu te charges d'acheter le cadeau de papa.

Moi

Pourquoi lui ?

Axel

Tu veux t'en charger ?

Moi

Sans façon. Mais je te remercie de me le proposer. Que lui offre-t-on ?

Mathéo

Une machine à expresso.

Moi

Encore ? Nous lui en avons offert une, il y a trois ans pour son anniversaire.

Mathéo

T'es sûre ?

Moi

Certaine.

Axel

Quelqu'un a une idée ?

Plusieurs minutes passent sans que l'un d'entre nous n'émette la moindre proposition. Et ce n'est pas notre paternel qui nous aidera. Sa réponse favorite consiste à nous assurer qu'il ne souhaite rien d'autre que notre présence comme cadeau. Avec ça, nous sommes bien avancés. L'inconvénient avec les années, c'est que les choix s'amenuisent. Enfants, nous lui offrions chacun un cadeau, puis nous nous sommes rendu compte qu'il était plus aisé de se réunir. Si seulement l'un d'entre nous possédait un quelconque talent artistique, ce serait plus simple. Je doute que notre père soit aussi indulgent concernant nos œuvres que lors que nous avions cinq, sept et neuf ans. Pourtant, nos talents n'ont pas bougé depuis cette époque, au grand désespoir de notre père. Ce n'est pas faute d'avoir essayé. Je crois qu'il n'y a pas une activité avec pour objectif de développer notre créativité que nous n'ayons pas testée. Il lui a fallu de très nombreuses années avant de se faire une raison à ce sujet. Aucun de ses enfants n'a hérité du gène nécessaire. Il reste les enfants de Mathéo. Il parait que ça peut sauter une génération. Ou plusieurs.

Je jette un nouveau regard à la conversation avec mes frères. Rien à signaler. Les connaissant, il n'y aura pas de nouveau message avant au plutôt demain soir. Enfin la paix ! Je n'ai plus qu'à me servir un verre de jus d'orange et allumer mon ordinateur pour me mettre au travail. Même si je parviens à reculer mon départ le plus possible, une fois sur place, je serai dans l'incapacité de m'occuper de quoi que ce soit pendant ce séjour. Entre mon père, mes frères, la femme et les enfants de Mathéo, je serais dérangée à peu près toutes les trente secondes.

Un Noël pas comme les autresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant