Chapitre 2

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L'inconvénient lorsqu'on travaille à domicile, c'est qu'il est parfois difficile de penser à s'accorder des moments de déconnexion. C'est en partie pour cette raison que j'ai institué le café du dimanche avec Axel. À l'époque, j'espérais faire une pierre deux coup et échapper à l'appel Skype familial hebdomadaire. Pour le coup, je me suis fait avoir.

Après avoir bossé une bonne partie de mon dimanche, je m'accorde une pause ce lundi matin pour aller courir quelques kilomètres et évacuer les tensions.

J'ouvre donc mon placard pour en sortir une tenue propre excepté que je n'en trouve aucune. Comment est-ce possible ? Je viens pourtant de faire une machine... ou pas. Je réalise que, perturbée par l'arrivée imminente des fêtes, j'ai complètement oublié de m'occuper de mon linge sale. La semaine démarre mal !

Direction la salle de bain où j'inspecte, dépitée, ma panière à linge. Débordant sous le couvercle, ma tenue de samedi me fait de l'œil. La perspective de remettre des vêtements dans lesquels j'ai transpiré ne m'enchante pas, mais entamer la semaine sans une petite séance de course ne me botte pas davantage. Que faire ? J'inspecte les bouts de tissus, hésite, puis me ravise. À la place, je prends le tout et rattrape mon erreur. Avec de la chance, le temps sera clément ce soir et je pourrais y aller. Il me suffira de mettre mes affaires à sécher près du radiateur.

Dans l'attente, je m'installe à mon bureau, ouvre mon ordinateur pour poursuivre mon travail.

Je finis à peine d'étendre le linge que je reçois un message de mon père me montrant une photo de lui et d'Axel. Sans me laisser le temps de lui répondre, il m'appelle.

— Ton frère vient tout juste d'arriver.

— C'est ce que j'ai cru comprendre.

— Mathéo sera là demain avec sa femme et les petits.

— Tu ne vas pas t'ennuyer avec tout ce petit monde.

— Tu parles, je vais les mettre à contribution. Avec tout ce qu'il reste encore à faire, je n'aurais jamais assez de bras. D'ailleurs, quand nous rejoins-tu ?

— Je n'ai pas encore regardé.

— Sa voiture n'est pas très grande, mais ton frère devrait pouvoir te trouver une place.

— Je te remercie de ta proposition. Deux jours représentent un délai trop court pour que je m'organise. Je te tiens au courant dès que j'ai fixé tous les détails.

— Plus tu tardes et plus les prix vont flamber.

— Je sais.

— Si tu as besoin, Axel peut te faire un virement.

Et voilà, toujours la même histoire. Ma famille est convaincue que comme je travaille depuis mon appartement, que mes revenus sont, au choix, inexistants ou faibles. De nous trois, Mathéo est celui qui s'en sort le mieux financièrement, mais comme il a une famille à charge si je me trouve dans le besoin, c'est à mon frère de m'aider. Notre père s'en chargerait bien, mais sa retraite couvre à peine ses propres dépenses. L'inconvénient d'avoir une carrière composée d'un trou de plusieurs années.

— Écoute, papa, il faut que je te laisse.

Je préfère clôturer la conversation avant d'y passer le restant de la matinée. Mon père peut se montrer très bavard quand il en a envie, ce qui semble être le cas aujourd'hui.

Si je ne veux pas avoir tout le clan Donoan sur le dos, je ferais mieux d'organiser mon départ. Noël est dans cinq jours en comptant aujourd'hui. Il faut impérativement que je sois présente le 24 pour la visite au cimetière. Je ne peux pas me permettre de ne pas m'y rendre. Mes frères ne me le pardonneraient pas, ce dont je pourrais difficilement leur en vouloir. Il s'agit à mon sens de notre tradition la plus importante, celle qui termine de me convaincre de venir. À moins de partir très tôt ce matin-là, je n'arriverai pas à temps, ce qui signifie que je peux arriver au plus tard après demain soir. Les journées passent beaucoup trop vite. Si seulement je pouvais zapper cette date pour passer directement au premier janvier voire le vingt-six décembre si vraiment il n'est pas possible de faire autrement.

Comme il fallait s'y attendre, les trains ont été pris d'assaut, il ne reste plus une place de disponible, même en payant rubis sur l'ongle. Par conséquent, je suis obligée de me rabattre sur le bus, plus long. Étonnamment, celui qui part vers vingt-trois heures déborde de sièges vacants pour une somme dérisoire. Voyager la nuit ne m'enthousiasme pas. Je dors très mal dans les transports. Je n'ose imaginer dans quel état je me trouverais à mon arrivée. Génial, déjà que je ne suis pas motivée, là c'est le pompon.

Maintenant que cette partie-là est réglée, il me reste à prévenir les autres. Tout particulièrement Axel à qui la tâche de me récupérer incombera. Il va adorer se déplacer au beau milieu de la nuit. Après réflexion, je vais attendre mercredi pour lui communiquer la bonne nouvelle. La pilule passera mieux, enfin je pense.

La technique du chauffage a fonctionné. Il pleut légèrement, rien d'insurmontable.

J'ai presque atteint la porte du hall quand j'entends ma voisine m'interpeller. Je pivote donc vers elle pour la saluer.

— Encore là. Je crois bien qu'il ne reste plus que nous dans l'immeuble, commente-t-elle en parvenant à ma hauteur.

— Presque, le type du premier étage n'a pas non plus bougé.

— Il ne quitte jamais son appartement plus de vingt-quatre heures. Il ne doit pas avoir de famille. Et pour toi, le départ, c'est pour bientôt ?

Toujours le même sujet de conversation qui tourne en boucle. Dès que je croise une personne, c'est l'une des premières questions qu'elle me pose. A croire qu'il n'y a que Noël qui compte en ce moment.

— Mercredi, je réponds.

— Si tard, tu dois avoir hâte d'y être. Nous partons ce soir, juste le temps de récupérer les cadeaux à la cave.

Pour ma part, ils attendent tous gentiment chez mon père. Commandés, emballés et livrés directement dans la demeure familiale, et ce depuis plusieurs semaines. Je n'ai pas la tête à le faire en cette période, contrairement à mes frangins qui attendent toujours la dernière minute. Raison pour laquelle, à cinq jours de noël nous n'avons toujours pas de présent pour notre père. J'ignore comment ils se débrouillent pour penser ce genre de frivolité quand Noël, pour nous, est source de tristesse ainsi que de douleurs. Un cadeau n'effacera pas ses sentiments ni la sensation de vide qui les accompagnent. Cette année plus que les autres.

La course m'aide à repousser ses sombres pensées pour l'heure qui suit.

De retour chez moi, je me rends directement à la salle de bain et me fais couler un bain bien chaud pour décontracter mes muscles après l'effort. Ainsi, mon corps pourra mieux se préparer au sommeil. Même si depuis plusieurs nuits, il se fait désirer. Je me réveille toutes les deux heures environ. Comment ne pas ressasser les vieux souvenirs quand Noël est absolument partout ? Des images de ce réveillon, vingt ans plutôt m'assaillent et ne me laissent que peu de repos. Je ne souhaite pas avoir recours à une médication, car ce ne serait que reculer pour mieux sauter. Cela reviendrait à mettre un pansement sur une blessure profonde. Plus nous nous éloignerons des fêtes et plus mon sommeil retrouvera son rythme à quelques exceptions près. Bien que cette période soit la plus propice pour raviver cette vieille douleur, un mot, une chanson, un objet, n'importe quoi est susceptible d'agir ainsi. La différence réside dans l'intensité et la fréquence.

Installée dans ma baignoire, je ferme les yeux et laisse la musique diffusée par mon enceinte Bluetooth miniature m'envahir. Il s'agit d'un cadeau de Mathéo lors d'un Noël précédent. Encore cette fête ! Impossible d'y échapper.

Au bout d'environ cinq chansons, je sens mes muscles se dénouer, mon esprit s'apaiser. Je n'ai plus qu'à me laisser aller. Voilà un de mes moments favoris de la journée.

« Il n'est pas trop encore trop tard pour effectuer vos cadeaux de Noël. Jusqu'au 25 décembre, profitez de nos réductions exceptionnelles sur tout le rayon jouet. En plus, nous sommes exceptionnellement ouverts vendredi 25 au matin. »

Sérieux ? Jamais ils ne me ficheront la paix ! Je vais finir par me mettre en hibernation au milieu de nulle part, coupée de tout et de tous, pour être enfin tranquille.

Quand la musique reprend enfin, c'est pour nous diffuser un chant de Noël. C'est la goutte l'eau qui fait déborder le vase. Encore quelques jours, et ma vie pourra reprendre son cours normal. Je récite cette phrase tel un mantra. Je peux y arriver. Je l'ai déjà fait chaque année depuis mes quatorze ans.

Un Noël pas comme les autresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant