trop tard

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  - A quelle heure arrivent Jeff et Sandra ce soir? demanda Cassie à sa compagne Hawa.

  - Vers 20 heures il me semble, répondit la jolie métisse en enfilant un bonnet sur la tête de leur fils d'un an et demi.

  - Ok. Tu seras rentrée? interrogea Cassie.

  - C'est pas parce que j'ai pas des horaires de prof que je passe ma vie au boulot, tu sais? rit Hawa.

  - Arrête de te moquer et passe moi Zack, que je l'amène à la crèche. Après tout, mes horaires de profs me le permettent, taquina la rousse.

  - Tu sais bien que je rigolais, sweetie. Passe une bonne journée, ajouta-t-elle en agrémentant ses mots d'un baiser.

  - Je t'aime!

  - Moi aussi. Au revoir Zacky!

  - 'voi! babilla l'enfant en agitant la main avant de disparaître avec sa maman.

*

  - Hello Cassie, comment s'est passé ta matinée?

  - Ian! Bien et toi?

  - Fatiguante, le petit Duong a encore fait des siennes.

  - Il n'a toujours pas réussi à s'intégrer à sa nouvelle vie?

  - Non, et le fait qu'il n'est même pas sûr qu'il finisse l'année ici n'arrange rien. Sa mère m'a confiée qu'ils allaient partir dans le Nord vers mai.

  - Ca doit être difficile pour un enfant de seulement sept ans de ne pas avoir de racines.

  - J'imagine. Qu'as-tu à manger ce midi?

  Cassie gloussa au brusque changement de sujet. Ian était son collègue et l'un de ses meilleurs amis depuis qu'ils s'étaient rencontrés, quatre ans plus tôt, à l'école où ils travaillaient tous deux.

  - Un reste de pizza végétarienne, je crois. J'ai pris ce qui venait ce matin.

  - Comment? ! s'exclama Ian, faussement choqué. Tu oses manger de la pizza aux légumes? Mais c'est un crime! C'est comme si tu mangeais des cookies sans pépites de chocolat! ajouta-t-il, sachant très bien que sa collègue n'aimait pas le chocolat.

  - C'est encore une lubie d'Hawa, rit Cassie. Ca fait presque deux mois que je n'ai pas mangé de viande, parce que d'après elle on n'en a pas besoin.

  - Tu sais quoi? Demain, je t'invite à manger un bon steak chez le traiteur d'en face.

  -  T'es sûr? Ca fait beaucoup de restaurants en quelques jours, non?

  - Quoi? Oh, tu veux parler de...

  - Ton marathon de rencards depuis quelques semaines, oui! D'ailleurs comment s'est passé celui de samedi?

  - Oh, tu sais, la routine... Ca allait bien mais il était loin d'être l'homme de ma vie. On a quand même passé une bonne soirée, et le point positif c'est qu'il a payé.

  - Et maintenant? Tu vas continuer à voir d'autres gens?

  - J'imagine. D'ailleurs, mon dieu, j'ai oublié de te dire! Je vois quelqu'un jeudi soir!

  - Génial! Comment vous vous êtes rencontrés?

  - Sur mon appli de rencontre. Mais cette fois... je le sens bien. Je pense vraiment qu'elle pourrait être la bonne.

  - On verra ça dans quelques jours! plaisanta Cassie, sachant que trouver la personne de sa vie était très important, et stressant, pour Ian.

  - Dites, les messes basses, ça vous dérange pas? Rigola Geoffrey, un autre de leur collègue. Absorbés dans leur discussion, le duo avait presque oublié qu'ils se trouvaient toujours dans la salle de repos de l'école.

  - Pardon, on vous écoute, répondit Cassie.

  - Nous sommes tout ouïe! renchérit Ian.

  Le repas se termina dans des discussions que Cassie n'écouta que d'une oreille ; elle entendit cependant qu'il y était question du divorce des parents d'un élève, d'une terrifiante nouvelle série racontant l'histoire de victimes de meurtres silencieux, de la meilleure manière de cuisiner du citron - ce qui était discutable, car selon Cassie, le citron ne se cuisinait pas ; on le mangeait cru-, et du nouvel album d'un chanteur à la mode. La rouquine pensait à sa soirée à venir, à profiter de sa famille et du couple d'amis invité chez elle ce soir-là.

*

  -  Cass, va ouvrir la porte, s'teu'plaît!

  - Mais bien sûr, mon canard!

  - Te moque pas, ils sont là et je suis pas prête du tout!

  Cassie secoua la tête ; sa compagne était irrécupérable. Elle accueillit ses amis avec bonne humeur et son sourire s'agrandit lorsqu'elle vit la bouteille qui précédait le couple.

  La soirée fut animée de vieux souvenirs d'université, de potins sur les connaissances mutuelles, de singeries de la part du petit Zack, d'un bon repas - sans viande, cela va sans dire - accompagné d'une bonne bouteille, et  évidemment de beaucoup, beaucoup de fou rires.

  Etant un lundi soir, les invités décidèrent de partir aux alentours de onze heures du soir, pour éviter un mardi mal réveillés. Chacun se dit au revoir et la porte se referma sur un sentiment de nostalgie et d'amitié. Cassie se retourna vers sa compagne quand la lumière s'éteignit d'un coup.

  - Merde, marmonna Hawa. Les plombs ont sauté.

  - Ma-man? demanda la voix hésitante du petit garçon qui s'était endormi un peu plus tôt et qu'on avait placé dans son lit.

  - Je vais vérifier si c'est éteint dans le couloir aussi, tu devrais aller voir Zacky, proposa Cassie.

  Hawa acquiesça et tâtonna les murs jusqu'à la chambre de son fils.

  Cassie revint une minute plus tard :

  - C'est dans tout l'immeuble, apparemment. Hawa?

  - Cass, répondit la voix inquiète de la jeune femme qui s'était rapprochée, je vois rien et Zack me répond pas. J'ai besoin de lumière.

  - Ok, je vais chercher des bougies.

  Hawa acquiesça - enfin, Cassie supposa qu'elle le fit- et repartit dans le couloir.

  - Babe, je sais pas où sont les alumettes. T'as Zack? demanda Cassie après quelques minutes.

  N'obtenant pas de réponse, la rouquine réitéra son appel.

  - Babe? Hawa?

  Cassie avança encore de quelques pas avant de trébucher sur le pied du canapé et de tomber dessus. Elle tenta de se relever et sentit soudain que quelque chose clochait. Une présence s'imposa très, trop près d'elle.

  - Haw...

  Mais Cassie ne termina jamais sa phrase. Dans la pénombre, quand une main s'agrippa fermement à sa bouche tandis qu'un puissant bras entravait son torse, l'empêchant de bouger pendant qu'on l'asphyxiait, elle comprit pourquoi Hawa n'avait pas répondu. Elle comprit pourquoi Zack s'était réveillé, puis avait arrêté d'appeler ses mamans. Une larme roula sur sa joue lorsqu'elle réalisa que son fils et sa compagne venait de se faire assassiner, et qu'elle était en train de subir le même sort. Puis elle comprit que ses collègues ne parlaient pas d'une série, ce midi-là. Et elle comprit pourquoi on les appelait les meurtres silencieux.

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⏰ Dernière mise à jour : Jan 29, 2021 ⏰

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