Partie Unique

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❝ Quand est-ce que tout a commencé ?

À quel moment ma vie est-elle partie en couilles ?

Je ne saurais même pas le dire.

Est-ce quand je me suis mis à sécher les cours en troisième année de fac ? Est-ce quand Yoongi m'a quitté quelques semaines avant ? Est-ce quand, lors d'une soirée sombre et pluvieuse, je me suis rendu dans ce bar de la ville ?

Quand ce soir-là, tu t'es assis en face de moi ?

Est-ce avant ?

Est-ce après ?

Personne ne le sait vraiment.

Je me souviens de ma vie d'avant, de ma famille, de mes amis. De toutes les personnes que j'ai croisées de ma naissance à ta rencontre.

Savais-tu déjà qui j'étais, à l'époque ? Avais-tu déjà tout planifié ? Notre rencontre était-elle anodine ou, au contraire, bien calculée ?

Je ne sais plus quoi croire. Qui croire, Jungkook.

Je suis perdu.

Tu me diras, je l'ai cherché. Quand on y pense, je ne suis pas tout blanc non plus. Mais sincèrement, sans toi, je n'aurais jamais fait tout ça. Je n'aurais jamais laissé ma vie dérailler à ce point.

Tu veux peut-être que je te rafraîchisse la mémoire, hein ?

Parce que tu ne t'es jamais demandé comment j'avais vécu la chose. Tu ne m'as d'ailleurs jamais demandé comment j'allais. Avec quelques explications, peut-être que tu comprendras mieux, qui sait ?

Vois-tu, je suis né dans la banlieue de Gwangju, une journée de février mille-neuf-cent-quatre-vingt-quatorze. Second enfant d'une famille d'agriculteurs, prétendu à reprendre un jour les terres de son grand-père. Depuis tout petit, c'était ma destinée.

J'ai grandi dans cette grange aux allures d'antan. J'ai couru à travers ces champs au soleil couchant. J'ai nourri les bêtes, creusé des trous, cueilli les légumes. J'ai appris les cultures en fonction des saisons, j'ai mené les troupeaux dans la montagne dont je me suis imprégné. Je la connais par cœur. Ses sentiers comme ses crevasses, son sommet comme son plateau, ses dents de scie comme ses plaines.

J'ai aussi vogué sur la rivière, analysant ses courants tout au long de mon adolescence. Fasciné par cette eau translucide et ses poissons, je m'y rendais souvent le soir, juste pour l'entendre murmurer le long de la berge ; voir ses parois fusionner avec la rive en des ronflements silencieux.

J'étais voué à ne jamais quitter ces terres. Elles faisaient partie de moi, et j'étais à elles. C'était mon avenir avant que l'on ne se rencontre.

Mais patience, tu n'arrives pas tout de suite. J'ai eu une vie avant toi, sache-le.

À l'aube de mes dix-neuf ans, mes parents m'ont fait la surprise de me dire que j'allais pouvoir, si je le souhaitais, entrer dans une université. Je n'y croyais pas vraiment, mais surtout, moi qui m'étais toujours dit qu'après mon diplôme de secondaire je pourrais enfin figurer sur les papiers de l'entreprise familiale, je ne comprenais pas. Il faut savoir que lorsque l'on vit de la terre, les études sont une perte de temps. Un moyen pour les incompétents de trouver un job. Car rien n'est plus dur que le travail du corps et l'entretien d'une étable.

J'ai d'abord refusé la proposition, persuadé que mes paternels ne croyaient pas en moi. Je voulais leur prouver que j'étais digne de ces champs, de ce bétail qui était l'essence même de la famille Jung depuis plus de cent cinquante ans.

Mais ils semblaient si heureux de m'offrir cette opportunité, que j'ai fini par accepter. Alors j'ai continué d'aider au champ, à l'étable, tout en constituant mon dossier étudiant. Mes grands-parents, qui ne s'occupaient plus que de la logistique et du marché, se sont proposés pour me payer un petit studio non loin de mon campus.

Troisième Option ʰᵏOù les histoires vivent. Découvrez maintenant