𝐓𝐡𝐞 𝐏𝐥𝐚𝐲𝐠𝐫𝐨𝐮𝐧𝐝 ོ

𝐏𝐚𝐫𝐚𝐬𝐢𝐭𝐞 ༉

Je n'étais plus qu'à deux pas de la bordure du cours d'eau quand Nils atteignit son but. Il essaya de réveiller le garçon, sans succès, alors il passa son bras sous ses épaules et le souleva avec difficulté. Il avait raison, cela aurait pris beaucoup plus de temps si j'avais été à sa place. Mais perdant de sa concentration, il cogna la tête de l'amorphe contre le tronc de l'arbre sur lequel il se reposait. Celui-ci émit un petit gémissement et la bête tourna immédiatement la tête.
Ce n'est pas vrai ! J'essayai de refaire basculer son attention de mon côté mais c'était trop tard. Les deux garçons semblaient bien plus intéressants que moi. Vite il fallait que je trouve une solution pour les aider, sinon ils ne pourraient pas s'enfuir. Alors sous la précipitation je ramassai une pierre gisant sur le sol et la lançai sur le dos de l'animal. Il s'arrêta, et son regard croisa le mien, je crus apercevoir de l'agacement un instant, puis, il fonça sur moi. Je n'eus pas le temps de réfléchir, je me jetai sur le côté, derrière un grand rocher, un peu trop tôt malheureusement. Mais lorsque le moment où l'ours devait me saisir de ses immenses dents arriva, rien ne se passa. Je relevai la tête et découvris Nils ainsi que le jeune homme endormi quelques minutes auparavant, exténués à la lisière de la rivière. La bestiole avait disparu. Enfin, pas complètement. Mes yeux furent attirés par des mouvements au loin dans le cours d'eau. Et je compris, ce n'était autre qu'elle, qui se débattait dans les impitoyables rapides du torrent. Ses rugissements déchiraient le silence de notre attente. Puis, elle s'envola dans un tournant trente secondes plus tard.

Nous étions sous le choc. Aucun son ne venait briser la pesanteur qui planait sur l'endroit. Jusqu'à ce que je remarque le tee-shirt imbibé de sang de l'ancien assoupi.
"Oh mon dieu."
Nils le vit aussi et vint soutenir le garçon. Je me levai pour l'aider à l'amener contre un arbre. Finalement nous étions de retour à la case départ, avec un problème pour en remplacer un autre.
"Laissez-moi tranquille, ce n'est rien, juste une égratignure."
Son ton froid et cassant me stoppa net.
Nils semblait tout aussi surpris.
"Eh oh, je vous ai parlé, faut vous le dire en quelle langue ?
_ Je ne pense pas qu'une simple égratignure puisse saigner autant.
_ Au contraire, parfois ce sont les plaies les plus insignifiantes qui saignent davantage."
Il avait répondu à mon compagnon d'une manière tellement insolente. Pour qui se prenait-il celui-là ? Nous lui avions sauvé la vie, qui sait ce qu'il se serait passé si nous avions décidé de le laisser se débrouiller seul ! Une pointe de colère vint rosir mes joues.
"Dis, tu ne crois pas que tu devrais plutôt nous remercier au lieu de jouer les gros durs ?
_ Vous remercier pour quoi ? J'aurais pu m'en sortir sans vous. Et je ne joue pas les "gros durs", ma blessure n'est que superficielle j'en suis certain.
_ Pardon ?! C'est la meilleure ça ! T'aurais pu t'en sortir sans nous ? Vraiment ? Et comment tu te serais défendu gros malin ? Grâce à du somnambulisme ?
_ J'ai le sommeil léger, je me serais réveillé."
Son argument était tellement incohérent que j'en restais bouche bée.
Je parvins enfin à répliquer.
"Tu te fiches de moi ? Tu n'as pas daigné bouger un cil malgré tout le bruit que nous faisions quand nous essayions de t'aider. Sauf une fois, lorsque Nils a malencontreusement cogné ta tête contre un tronc, et encore, tu ne t'es même pas réveillé ! Alors maintenant ose me dire que tu n'as pas un sommeil de plomb ! C'en est presque inhumain !"
Mon acolyte ne lui laissa pas le temps de répondre. Il souleva son haut pour vérifier son état.
C'est vrai que l'entaille ne paraissait pas profonde.
"Vous voyez, rien du tout je vous dis. Ça pique un peu seulement."
Cela restait un soulagement, cet étranger me tapait sur les nerfs certes, mais il ne serait pas un poids, du moins je l'espérais.
"Bon, sinon comment t'appelles-tu ?"
Sous l'impulsion je ne lui avait pas demandé son nom. Heureusement que Nils était là pour calmer le jeu.
"Gabriel.
_ Enchanté, moi c'est Nils et la fille avec qui tu te prenais la tête à l'instant se nomme Séraphine.
_ Hum, enchanté."
Je me présentai légèrement à contre cœur, mais il valait mieux faire des efforts et rester soudé dans ce lieu inconnu, plutôt que de partir chacun de notre côté à cause de stupides désaccords. Gabriel était moins grand que Nils, je l'avais remarqué quand ils se tenaient debout à la frontière entre eau et terre. Ses cheveux avaient une couleur inhabituelle. Ils étaient blancs comme la neige et il avait des yeux froids. Ils ne donnaient absolument pas envie de l'approcher. Mais de son aura émanait quelque chose de séduisant, il semblait avoir un âge proche du notre. Une question me trottait dans l'esprit depuis que nous l'avions trouvé.
"Gabriel, que faisais-tu là, à dormir sous cet arbre ? Tu habites près d'ici ?"
Il mit un peu de temps avant de répondre.
"Non."
Je m'attendais à ce qu'il développe, mais il ne fit rien. Alors Nils précisa :
"Et comment t'es-tu retrouvé dans cette forêt ?"
Était-il possible que ce jeune adulte soit dans la même situation que nous ? Cela serait vraiment étrange.
"Je ne sais pas. Je ne sais pas où je suis, ni comment je suis arrivé. Et à force de me creuser les méninges j'étais fatigué alors j'ai fait une sieste.
_ Ce n'est pas possible...
_ Quoi ? Que je sois totalement perdu et que je ne sache pas comment rentrer chez moi ?
_ Non que tu sois exactement dans le même pétrin que Nils et moi.
_ Que- comment ça ?
_ Tu chutais pas vrai ? Lors de ta venue dans cet endroit. Puis tu t'es réveillé au milieu de ce bois. N'ayant aucune idée d'où tu te trouvais."
Cette fois c'était lui qui était bouche bée.
Il hocha la tête. Je n'en revenais pas. Sur combien de personnes allions-nous encore tomber dans le même cas que nous.
"Comme je l'ai dit à Séraphine lorsque nous nous sommes rencontrés, c'est ton choix, mais je pense qu'il vaut mieux que tu viennes avec nous. Je sais, ça peut paraître précipité. Mais aucun d'entre-nous ne connaît cette contrée et avec ton "égratignure" tu es plus vulnérable."
Il hésitait, mais il sortit la réponse que nous attendions le moins.
"Sans façon merci, je préfère continuer mon chemin en solitaire.
_ C'est complètement insensé !
_ Désolé, je ne vous fais pas confiance. Vous pourriez être n'importe qui, ou n'importe quoi.

_ Tu penses qu'il est plus judicieux de demeurer seul, sans personne sur qui compter dans l'état où tu te trouves ? Si nous te voulions du mal, nous n'aurions pas agit et tu te serais fait dévorer, mais nous t'avons sauvé, en quelque sorte, ce n'est pourtant pas compliqué à déduire.

_ Très bien tu n'as qu'à tracer ta route tout seul, si tu estimes pouvoir te débrouiller, mais retiens bien chaque mot que je vais te dire. N'essaies même pas de revenir sur ta décision, parce que de notre côté c'est inchangeable, nous ne t'accepterons plus. »

Je venais de couper court au débat, cette énergumène m'avait poussé à bout. Il refusait de céder à notre aide et ne nous remerciait pas pour notre sauvetage risqué et improvisé, c'était déjà beaucoup. Mais alors, qu'il soit têtu au point de se mettre en danger c'était insupportable. Mon impulsivité m'amena à le laisser comme il l'entendait.

« Viens Nils, repartons il ne faut pas s'éterniser, le soleil commence à tomber et j'aimerais essayer de trouver un endroit digne de ce nom pour la nuit. »

Il me prit à l'écart.

« Écoute, je ne te connais pas extrêmement bien, mais je n'ai pas besoin de ça pour savoir que tu agis sous le coup de l'émotion. Et je ne suis pas sûr que l'abandonner en pleine forêt, blessé qui plus est, est une bonne idée.

_ Tu plaisante j'espère ? Il n'a que ce qu'il mérite. J'en ai assez de cette histoire, tu n'as qu'à rester avec lui si ça apaise ta conscience, moi je m'en vais. »

Et pour accompagner mes dires, je fis demi-tour et repartis dans le sens opposé au chemin par lequel nous étions arrivé.

Après quelques secondes j'entendis des pas me suivre de près. Je ne me retournai pas, je savais qu'il s'agissait de Nils. Nous marchions en silence, je n'arrivai plus à réfléchir, j'avais beau me trouver toutes les justification du monde, je ne pouvais pas me débarrasser de cet affreux sentiment de culpabilité. Et si il y avait d'autres ours dans les parages ? Et si cette plaie sur son ventre, par je ne sais quel malheur, s'aggravait et qu'il se vidait de son sang ?

« Séraphine, tu vas bien ? »

Mon compagnon depuis maintenant quelques heures, venait de m'extirper de mes pensées, qui devenait plus atroces les unes que les autres.

« Oui...

_ Je n'arrives pas à deviner si tu boue de rage ou si tu te sens coupable d'être parti sans Gabriel.
Mais sache que ça ne sert à rien d'être rancunière nous ne le reverrons sûrement jamais. Et si c'est la deuxième option, il n'est pas bon d'enfermer ce genre de trouble, comme dit souvent ma mère, ça te ronge de l'intérieur, c'est un parasite. »

Je ne répondis rien.

« Tu as pris la bonne décision, j'avoue que je n'étais pas pour au départ. Mais plus je m'attarde sur la situation, plus je me dit que tu avais raison. Ça ne servait à rien de l'obliger à nous suivre, il ne nous aurait pas écouté. Et puis nous n'avions aucune redevance envers lui, il aurait pu nous utiliser et devenir un poids, étant donné sa réaction envers notre coup de main. »

Qu'est-ce qu'il pouvait être bavard celui-là. Cependant il avait littéralement un don pour parler aux gens. Un petit sourire se dessina sur mes lèvres. Je lui jetai un coup d'œil et vis les coins de sa fine bouche s'étendre à leur tour.

« Maintenant il nous reste à trouver un lieu pour s'abriter, s'il y a des ours, il doit aussi y avoir des loups et d'autres bêtes plus dangereuses. La lune et les étoiles vont bientôt se lever, nous n'auront plus l'avantage de la clarté du jour. »

J'hochai la tête en signe d'approbation. Un frisson me parcouru, l'angoisse me rattrapait. Je commençais à me demander si nous allions passer la nuit, seuls, au milieu de cette étrange masse d'arbres, dans laquelle se cachait sans doute des choses, plus effrayantes les unes que les autres.