Personna

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Je m'avançais vers le bus. A l'intérieur, je discute avec mes amis. Les rires fusaient. Dès la descente, direction le lycée avec ses murs gris et imposants que je m'étais habitué avec le temps. Je montais mécaniquement les marches qui menaient à la classe. Le professeur nous rend des contrôles et comme je le presse, j'avais eu une mauvaise note. Triste, je me mis à pleurer en silence. Le professeur continue son cours sans prêter attention à mes larmes. Plus tard, alors que je déambulais sans but dans la cour, je bousculais malencontreusement un élève plus âgés que moi. En une fraction de secondes ma vision s'était troublée. A terre, la joue douloureuse, fondant en larme, je l'apercevais qui me frappait sans ménagement. Avant de m'évanouir je l'entendais prononcer ces mots : « Pourquoi il ne réagit pas ? C' est nul ! »

Je me réveillais allongé sur un lit à l'infirmerie. Je regarde autour de moi les murs d'un blanc nacré qui contrastait avec le bleu des rideaux et les meubles gris. Je me levais et, sans adresser un mot à l'infirmière, je retournais en cours. Ma journée reprenait son déroulement habituel, monotone, mais habituel. La sonnerie retenue et je m'apprêtais à partir quand j'entendis une personne me poser une question qui me sembla incongrue :

« T'aime quoi, toi ? »

Pourquoi cette question ? avais-je pensé.

« J'aime le foot, le rap et les voitures, comme tout le monde. Comment pourrait-il en être autrement ? »

Sans chercher à poursuivre la conversation je tourne les talons et rentrais chez moi.

Une fois arrivé dans ma chambre et après avoir fermé la porte à double tour, je portais ma main au visage pour l'enlever, avant de le poser sur la table.

Des affiches ornent les murs de ma chambre. De petites statues sont continuées sur des étagères. Un casque sur les oreilles, je lançais une musique japonaise, calme, apaisante. J'adore mes affiches de mangas, mes figurines, mon univers. Mais je l'apprécie surtout lui. Lui qui me permet de vivre et d'être accepté. Lui, mon Masque. Un masque blanc comme ceux utilisés au théâtre, avec son regard vide. Je connais ce regard, je l'ai vécu, jusqu'au jour où il est apparu dans ma vie. Un matin, comme sorti du néant, il était là, sous mes yeux. Mon bouclier, mon héros, mon sauveur : mon Masque.

J'étais plongé dans mes pensées et mes souvenirs, mais la course effrénée du temps ne s'arrête pas et je devais déjà retourner en classe, retourner dans cette boucle infinie qu'on appelle la vie.

Je montais en hâte les vingt-sept marches de l'escalier principal du lycée. Cet escalier, je peux monter les yeux fermés. Toujours le même nombre de marches, le même nombre de pas pour arriver en classe. Toujours la même place, au troisième rang à côté de la fenêtre. Toujours le même rituel en début de cours. A peine a-t-il commencé que je n'écoute plus rien. Je me suis déjà évadé, dans mes pensées ...

Depuis qu'il est entré dans ma vie, je suis «heureux», du moins en apparence. J'ai des amis, je parle de foot, d'un but incroyable, d'un match sensationnel. Je fais des blagues de mauvais goût, je sèche des cours de temps en temps. Je suis comme les autres, comme tous mes camarades. Je décide de sécher le cours suivant pour suivre mes «copains». La prof doit être furieuse ... Nous traversons les couloirs étriqués en courant, les surveillants nous suivent de près, nous criant de nous arrêter. Si jamais ils nous attrapent ils nous renverront en cours avec la prof prête à hurler que c'est mal de sécher les cours et d'autres fadaise du genre. Nous ne souhaitons pas être enfermés alors qu'il fait si beau dehors. Pourtant cela n'a pas d'importance d' être enfermé dans une salle car nous sommes tous les prisonniers de l'immense cage qu'est le monde. A cette cage, je me suis habitué. J'y ai même construit ma propre petite prison. Cette cage prend la forme d'un œuf et, si l'œuf est le monde pour naitre il faut détruire le monde, mais personnellement j'ai préféré rester bien tranquillement au fond de ma coquille ...

Comment est-il apparu? Je ne sais pas. Je sais juste que ce monde est dangereux et qu'il m'en protège. Il la cache, elle, ma vraie nature: Je déteste le foot, le rap et j'ai peu d'intérêt pour les voitures. Je préfère l'e-sport, la musique japonaise et les mangas. Je ne suis pas dans «les normes» ... Notre société s'appuie sur le peu qu'elle sait, le peu qu'elle comprend et appelle cela « normalité ». Et cette conformité fait le monde. Mais cette normalité n'est qu'une illusion futile. La peur de l'inconnu, son rejet, je les ai connus, trop connus. Je suis différent, je n'ai pas les mêmes goûts, je n'ai pas les goûts que devrait avoir un garçon de mon âge selon les conventions ... C'est la peur et cette illusion d'un standard fictif qui crée la haine et le rejet de ceux qui en sortent, de ceux qui sont différents. Mon Masque me protège de tout cela. Quand je le porte, il change mes goûts, mon attitude, il me permet d'être « normal ». Il cache aussi ma tristesse, mes larmes. C'est cela mon Masque, mon Masque sorti du néant. Il fonctionne si bien que quand je le porte je demande si ce corps est encore mien, s'il ne lui appartient plus désormais. Je ne peux pas me résoudre à l'abandonner. Sans lui, je me retrouverais seul et oublié. Quand je le porte je suis son pantin, sa marionnette. Je suis l'oiseau sans aile et lui ma prothèse. Quand enfin un jour j'avais eus le courage de l'enlever en public, les réactions des personnes présentes m'avaient déboussolées. Leurs regards étaient remplis de peur et d'incompréhension. Ils me regardaient comme si j'étais un démon sorti des enfers. Après cet événement, leur regard à tous avait changé. Et même si je le portais toujours sur moi depuis ce jour, dans leurs yeux, je dois encore distinguer les résidus des braises de la haine. Depuis ce jour j'ai compris que, pour que tout redevienne comme avant, il devait devenir moi, définitivement. Celui qui est apprécié, celui qui a des amis, ce n'est pas moi, c'est lui, mon masque. Pour que tout redevienne comme avant, je devais mourir et lui donner mon corps ... mon Masque. Depuis ce jour j'ai compris que, pour que tout redevienne comme avant, il deviendra moi, définitivement. 

J'ai peur ... Je ne veux pas disparaitre ... Je veux vivre ...

Depuis que je l'ai trouvé, j'avance sur un chemin étroit ... Je ne peux plus faire marche arrière, je ne peux qu'avancer ...

Si je dois mourir, si je dois disparaitre ce sera avec lui, pour lui ... Il est mon héros, mon sauveur. Il est l'illusion qui me protège mais aussi l'illusion qui va me détruire... Je ne peux pas me résoudre à mourir, même si je sais au fond de moi que je ne serai sans doute jamais accepté tel que je suis.

Soudain, perdu dans mes pensées et pris d'une angoisse, je l'arrachais violemment de mon visage et l'envoyais se briser contre le mur de la classe remplie d'affiches scolaires. Non, il n'était pas sorti du néant, il n'était pas un héros. Il était le démon, le démon que j'avais créé pour me protéger de leurs regards. Il était le démon qui me retenait prisonnier de moi-même, prisonnier de ma solitude, prisonnier de ma peur des autres. Ce n'est pas eux qui ont de la haine pour moi, c'est moi qui déteste qu'ils soient différents de moi ... Mon péché est la peur ... et tous mes malheurs je les cueillent à l'arbre de ma terreur. J'ai envie de m'écrouler en criant que c'est un fardeau bien trop lourd. Mais je dois vivre en portant le poids de mes erreurs, de ma peur.

Je me levais et malgré les regards d'incompréhension de mes camarades, je souris. Car ce jour-là j'avais décidé de vivre...


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