15 | Pas si terrible, finalement

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Les cours de la matinée s'enchaînent, et j'ai beau trouver les profs intéressants, une partie de moi ne peut s'empêcher de penser que je ne suis qu'une touriste dans cette école. À vrai dire, je suis partagée entre la sensation de découvrir de nouvelles choses, et celle d'être inculte et de me sentir submergée par toutes ces informations qui cheminent vers mon cerveau. Pas très confortable, en fin de compte, sans compter que chaque élève qui lève le doigt dit quelque chose d'intelligent. Finalement, j'avais raison dès le début, et mes parents auraient dû m'écouter, car je ne suis pas du tout faite pour aller dans cette école ! Enfin, même si je me vois mal rentrer en France au bout de deux jours ici ; j'ai tout de même une fierté.

Perdue dans mes pensées, je décide d'observer les autres élèves de ma classe, tout en écoutant le cours d'une oreille. Je comprends assez facilement ce que le professeur raconte - il doit d'ailleurs être le premier adulte qui n'a pas d'accent russe dans cette école - et j'ai déjà pris pas mal de notes, alors regarder un peu autour de moi quelques minutes ne devrait pas me porter préjudice. De toute façon, je risque de bientôt partir de cet institut.

À côté de moi, Chiara surligne son cours avec une dizaine de couleurs pastel différentes. Ça ne m'étonne même pas ; cette fille est l'esthétisme en personne et la douceur incarnée. Elle a d'ailleurs mis un ruban blanc dans ses cheveux roux que je n'avais même pas remarqué. Décidément, tout lui va à merveille.

Je regarde de l'autre côté - de toute façon, je ne suis plus vraiment concentrée - et découvre le visage de Luna, à qui je n'ai pas reparlé depuis notre première rencontre. C'est dommage, mais j'irais la voir plus tard pour discuter avec elle. Derrière elle sont assis deux garçons, dont un qui ne sait visiblement pas se servir d'un peigne, et un peu plus loin, je vois le blond qui mange à la même table que nous depuis que nous sommes arrivés à l'école. Puis, je continue mon observation, mais une mélodie me tire soudainement de mes pensées.

Lorsque la sonnerie retentit, marquant l'heure du déjeuner, je file retrouver Chiara et Ben à la même table, désormais comme à notre habitude. Les plats fumants sont déjà disposés sur les tables, et je suis ravie de voir que les Russes sont capables de manger des pâtes. Le blond est là, lui aussi, et même si sa présence ne me met pas en confiance, je décide d'entamer la conversation avec lui.

- Salut, tu manges avec nous ce midi ?

Il lève la tête vers moi avant d'acquiescer, tandis que Chiara s'installe à côté de moi.

- Enfin, si ça ne vous dérange pas bien sûr, lance-t-il dans un anglais parfaitement maîtrisé.

- Tu es là depuis le début, on ne va quand même pas te demander de partir, dis-je en haussant les épaules, avant de m'installer à ma place, l'air indifférent.

Il me répond par un mouvement de tête entendu, sans doute heureux de voir qu'on ne le rejette pas. Ç'aurait sans doute été puéril de le faire, déjà parce que l'on n'a plus douze ans, et aussi parce qu'être associable n'a jamais mené bien loin. J'espère seulement que maintenant qu'il est véritablement intégré à notre table, il sera un peu plus bavard que les autres jours. Son mystérieux silence et son apparence toujours aussi froide me mettent toujours un peu trop facilement mal à l'aise.

Les plats fumants, encore et toujours disposés sur la table dans de jolies marmites cuivrées, laissent échapper une bonne odeur de béchamel. Je ne sais pas ce qui se cache sous le gros couvercle, ni comment il est possible que des russes sachent cuisiner autre chose que des plats dont le seul nom regroupe toutes les consonnes de l'alphabet, mais une chose est bel et bien sûre : je dois absolument partir de cet institut, ne serait-ce que pour continuer de rentrer dans mes jeans.

- Tu veux de l'eau, Victoria ? demande Chiara, ce qui a le don d'interrompre mes divagations.

J'acquiesce en guise de réponse et la remercie, et je décide de tendre une oreille sur la discussion qui se déroule. Ben, qui reste toujours un peu collant malgré tout, commence vraiment à faire partie de notre nouveau petit groupe. D'accord, il fait généralement plus rire Chiara que moi, et puis il est en deuxième année, mais je crois bien que j'apprécie les retrouver tous les deux pour les repas.

Bon, il y a aussi ce gars qui joue les mystérieux depuis le début. Avec ses cheveux clairs et ses taches de rousseur, il a d'ailleurs plus l'air d'un elfe égaré que d'un élève d'une école internationale. D'ailleurs, je ne sais même pas d'où il vient. C'est l'occasion de lui demander, et accessoirement de briser la glace.

- Excuse-moi, tu viens d'où, au fait ? je lance, un peu au hasard.

- Je viens de Saint Pétersbourg, répond-t-il simplement, mais toujours avec un accent irréprochable. Et toi, euh, voisine de table ?

Il ne sait pas mon prénom, mais sa remarque me rappelle que je ne lui ai pas demandé le sien non plus. Mes joues brûlent de honte à cette idée, et je décide de rectifier le tir, histoire de ne pas passer pour l'idiote malpolie de service.

- Je suis de Paris, et je m'appelle Victoria, d'ailleurs. Mais je ne t'ai même pas demandé ton prénom, je suis vraiment désolée !

- C'est rien, lâche-t-il en haussant les épaules. Je m'appelle Alekseï, enfin, pas sûr que tu aies besoin de t'en souvenir de toute manière.

Je fronce les sourcils, intriguée.

- Hein ? Qu'est-ce que tu veux dire par là ?

- Rien, laisse tomber, soupire-t-il avant de prendre une bouchée. Dans quelques jours, ça n'aura plus d'importance.

J'aimerais bien connaître son petit mystère, mais Alekseï n'a pas l'air d'accord pour me le partager. Tant pis, j'ignore son air tendu et me remets moi aussi à manger. Je n'ai pas très envie de me prendre la tête, d'autant plus que j'ai déjà assez à gérer : tout est nouveau pour moi, et déjà que je dois survivre dans cet institut avant de pouvoir rentrer chez moi, ce n'est pas la peine que je perde mon temps avec les secrets de ce garçon par-dessus le marché. Je finis donc mon assiette tout en laissant trainer l'oreille pour entendre la discussion qui anime Ben et Chiara depuis dix minutes - un débat sur le cinéma, si j'en crois mes connaissances en la matière - avant de sortir mon téléphone pour vérifier mes réseaux sociaux.

C'est drôle, ça fait un moment que ça ne m'était pas arrivé. J'ai vraiment été prise par l'ambiance qui règne ici, les cours, et... mes nouveaux amis. Oui, ce sont mes nouveaux amis, et voir Chiara rire, Ben dire des âneries et Alekseï écouter la conversation le nez plongé dans son assiette me laisse penser que ces premiers jours à l'Institut n'ont finalement pas été si terribles.

Le cœur réjouit par cette pensée, je termine mon repas sans me presser, avant de repartir avec Chiara pour assister aux cours de l'après-midi. Ben est déjà reparti, et Alekseï traine les pieds derrière nous, mais tandis que nous approchons de notre salle de cours, les hauts parleurs de l'école se mettent à résonner.

« Chers élèves, votre attention s'il vous plaît. Les premières années sont invitées à rejoindre la salle de permanence principale en fin de journée pour obtenir un parrain ou une marraine. Nous rappelons par ailleurs que les élèves souhaitant prendre part au programme de tutorat devront être au minimum en troisième année d'études et s'engager à accompagner leur filleul. Merci de votre écoute. »

The White Institute (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant