Le Guerrier Sumeragi
Le tableau qui s'offrait à moi était l'allégorie du chaos, le paroxysme de l'anarchie, et je m'y sentais dans mon élément. C'était la plus merveilleuse vision que la guerre ne m'avait jamais donné. Le feu décimait le village devant mes yeux, les flammes côtoyaient les cieux et la destruction était le maître mot des événements qui atteignaient ma vue.
Je voyais de nombreuses familles en détresse mais cela ne m'agitait pas, à l'inverse la frayeur qui les animait nourrissait la noirceur de mon cœur. Les années de guerre l'avaient glacées jusqu'à le rendre des plus indifférents. Si indifférents que même la chaleur des flambés rougeoyantes me confortait dans les bras de la colère.
Je commandai à mon cheval de s'aventurer tranquillement au milieu des décombres, observant de droite à gauche les maisons désormais vidées des habitants qui essayaient d'échapper aux incendies. Il ne resta bientôt plus que les corps de ceux qui n'avaient pu s'enfuir et dont la maison s'était écroulée sur eux.
La scène que j'observais était empreinte de rouge. L'écarlate du sang, le cinabre des flammes et le vermillon du coucher de soleil qui teintait l'horizon.
Toutes ces nuances se reflétaient sur le soyeux pelage de jais de mon cheval, et se réfléchissaient avec encore plus d'intensité sur ma peau pâle.Je parcourais fièrement les ruines du village quand ma curiosité fut piquée à vif, par un bruit. Celui d'une lame qu'on sort de son étui.
Naturellement, le bruit était proche, car j'avais réussi à le percevoir malgré l'assourdissante symphonie du vacarme ambiant.
Je compris la menace qui m'épiait et dû faire appel à toute l'adresse contenue en moi pour me sauver. Je tirai un coup sec sur les rennes de mon cheval et ainsi j'évitai le coup qui faillit trancher mon échine.
C'était une fraction de seconde qu'il avait fallut, pour que ne monte en moi la volonté de voir l'auteur de cet affront lacéré par mon sabre avant que je ne l'immole.
Mais aussi tôt que nos yeux se rencontrèrent, mon violent désir retomba et laissa place à un trouble auquel je n'avais jamais fait face. Décontenancé de voir ces yeux verts empreint de fougue, j'étais comme retourné à l'âge de jeune adulte pendant un instant qui sembla comme une éternité, près de la femme que j'aimais jadis.
Je chassai vite le souvenir, ne me laissant pas enivrer par la douceur de mes vieux fantômes, et me reconcentrai sur la femme haletante. Je lui faisais désormais face. Si l'on pouvait dire ainsi, sachant que je la surplombais d'au moins deux mètres sur ma monture.
Je n'avais aucune idée des moyens par lesquels elle n'avait pu ne serait-ce que m'effleurer de sa lame.
Soudain sans prévenir elle accouru vers mon cheval, et alors que ma monture partait à l'assaut, la femme, agile, réussit à entailler tout le long de son flanc.
Pris par la douleur il flanchât et se retrouva les genoux cloués au sol.Je quittai alors mon perchoir et atterrit à même le sol, la main sur mon sabre ne sachant pas quand une folie repasserait par la tête de cette sotte qui osait se présenter à moi avec tant de zèle.
J'évaluai rapidement quelle serait l'issu d'un combat s'il devait y en avoir un. Inévitablement si elle continuait à faire preuve d'autant d'ardeur que lors de ses premières offensives, j'allais finir blessé, mais je finirais par la maîtriser, et le dénouement serait la mort pour elle.
Une fois les pieds au sol, j'attendis qu'elle attaque, mais elle encra simplement ses yeux dans le miens.
Elle a le même regard que...
J'étouffai rapidement la fin de ma pensée.« - Avant que je ne vous tue de ma lame, je veux que vous sachiez qui va mettre fin au règne de terreur que vous entretenez dans ces contrés. »
Tss... Bakayarô. Je ris intérieurement de son assurance.
Si seulement elle savait qu'il ne ne suffisait que de quelques minutes pour que je ne l'assassine.
Comment pouvait-elle, croire qu'elle pouvait mettre fin à mes jours, moi, Sumeragi Takeo ?
Je la laissai continuer son discours par pur amusement.
« - Je m'appelle Ikegami Katsumi, et je vengerais toutes les âmes qui ont croisé votre chemin. »
Katsumi... Beauté victorieuse...
Ses propos la font sembler aussi tenace que...
Je n'eus pas le temps de me remémorer plus longtemps mes souvenirs que la fameuse Katsumi fonça sur moi le sabre en avant, et je pris position.Nos sabres se rencontrèrent dans un fracas. Une, deux, trois fois je parai les coups qu'elle asséna. Nos lames glissaient l'une contre l'autre avec frénésie, et l'impact des chocs faisait virevolter nos chevelures ébènes.
Elle fit un tour sur elle-même, pour prendre de l'élan avant de s'abaisser pour atteindre mes chevilles. Je sautai pour éviter le coup.
Je lui donnai alors un coup de pied pour la désarmer. Son arme vola sur au moins cinq mètres derrière moi.
Elle accouru pour aller la chercher, et quand elle passa près de moi, son effluve m'atteignit.Cela sentait l'ajisai. La fleur des émotions sincères, ou de la froideur du cœur selon celui dont l'odeur émane.
C'était notre odeur à tous les deux, moi et ma femme, parce qu'elle seyait à nos deux personnalités.
Ce moment d'inattention me fut presque fatale. Dans mon dos, l'épée de Katsumi faillit fendre mes côtes. Je contrai son sabre avec le mien, effectuai un mouvement brusque pour la repousser, et la désarmai, encore.
De nouveau face à face, ses mains agrippèrent mes poignets, les tordirent, et je lâchai mon katana.
Elle en profita pour frapper ma cage thoracique de son genou. Je me recroquevillai sur moi-même, elle cogna mes cervicales ce qui me fit tomber à terre.
Elle combat avec la même méthode que...
Une fois à terre, je ne trouvais pas la force nécessaire pour me relever. Elle attrapa mon sabre sur le sol et plaça l'arme sur ma gorge, prête à m'ôter la vie, mais je ne bougeai plus.
« - Pourquoi ne vous défendez vous plus ? dit-elle en effectuant une pression sur la lame. »
J'aurais pu prétendre ne pas savoir, mais l'évidence était bien trop grosse.
Je n'avais jamais eu la force de me battre contre ma femme, et cette Katsumi me rappelait bien trop ma précieuse Asami...
« - Vous me rappelez ma femme.»
Elle fronça les sourcils.
« - Vous portez mal votre nom, guerrier. Si vous abandonnez le combat simplement à cause du souvenir de votre épouse.»
La colère me murmurait que Katsumi avait raison : je faisais preuve de faiblesse. Mais une autre partie en moi susurrait que je venais juste d'enfin me libérer de l'emprise des démons qui m'habitaient depuis qu'Asami était morte.
Depuis qu'elle était partie, j'avais souvent fait taire tout ce que me rappelait mon amour. Pourtant de son vivant, elle était la seule chose qui me rendait meilleur. Et aujourd'hui cette inconnue avait fait raviver en en moi le souvenir de celle qui fut mon épouse.
Et avec cette renaissance elle avait éclipsé, tout ce qu'il y avait de glacial en moi. La volonté de tout anéantir sur mon chemin avec.
Tout comme lorsque les dieux abattent le printemps sur l'hiver, pour transiter jusque l'été. J'avais enfin retrouver en moi la chaleur que pouvait procurer l'espoir.
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Le Guerrier Sumeragi
Short Storyguerrier au cœur fermé rencontre une fleur à la senteur d'un fantôme d'antan. effluve contradictoire retrouve des songes dans cette âme à l'air méchant. et lames tranchantes rompent les liens entre un homme bon et l'amour du sang.