Femme Fatale

71 4 0
                                    

Mardi – 7 : 30

Deux œufs brouillés. Une tranche de pain légèrement toastée. Un café noir. Un verre de jus d'orange. Au-dessus de moi, j'entends les pas de Marc qui descend l'escalier. C'est le signal. Je coupe le feu, beurre les toasts et verse le liquide fumant. Lorsqu'il s'assied, tout est en place.

- Quel est le programme de la journée ?

- Seulement cinq visites aujourd'hui, je devrais être rentré à l'heure.

- Des médecins ?

- Principalement des pharmaciens.

Marc ouvre grand les pages de son journal. J'aimerai en savoir plus, mais je sais que je n'en tirerai plus rien. Mon job de technicienne de laboratoire me manque. Pourtant, je n'ai pas à me plaindre. Marc a beau être constamment sur les routes, son salaire de délégué pharmaceutique suffit à nous faire vivre confortablement.

- Nora, tu as bien pris tes vitamines ?

Je repose ma galette de riz et m'empare du flacon orange posé au milieu de la table. Depuis le début de ma grossesse... qui n'est jamais arrivée à terme, Marc est aux petits soins avec moi. Il veille à ce que je sois en parfaite santé, que je prenne soin de moi et surtout, que je ne me laisse pas aller. Il ne me quitte pas des yeux tandis que je m'empare de la petite pilule jaune qui s'enfonce dans ma gorge à grands traits d'eau.

- C'est mieux comme ça.

Nous terminons notre petit-déjeuner en silence.

12 : 30

C'est le début du printemps. Lorsque le soleil brille, il fait juste assez chaud pour rester dehors. Je m'installe sur la terrasse, un verre de vin blanc à la main.

Lorsque j'ai accepté de quitter mon job pour m'occuper de notre enfant à naitre, je ne m'imaginais pas que je me retrouverais dans un tel état de désœuvrement. Ma famille, mes collègues, mes amis et ma vieille Ford Fiesta sont restés à 300km de là, tandis que nous emménagions dans ce quartier résidentiel. Femme au foyer n'est pas vraiment ce que je rêvais d'être à l'aube de mes quarante ans. Développer un alcoolisme de confort encore moins.

J'attrape mon verre et avale le liquide doré. Mon ventre se tord chaque fois que je repense à Sarah. Je l'imagine avec des cheveux marron et des yeux verts, comme son père. De sa mère, elle aurait hérité des jambes longilignes, un buste en V et des boucles à n'en plus finir. Je la vois entrer à l'université, nous présenter son premier amour et me balancer à la figure que je suis beaucoup trop exigeante. Tous ces précieux moments que je ne connaitrai jamais.

Nouvelle rasade. Je m'empare de mon portable, enclenche le mode portrait et tourne l'écran vers moi. Derrière mes lunettes fumées, mes cernes sont suffisamment dissimulés. J'appuie et ajoute le cliché à la longue collection de selfies qui constellent mes réseaux sociaux.

Marc y fait quelques apparitions remarquées : une main sur mon épaule, un baiser sur mon front, un sourire éblouissant... pas plus. Avec le temps, j'ai appris à respecter son besoin de discrétion. Cela ne m'empêche pas de rêver à coup de scroll la vie parfaite que je me suis inventée.

Depuis le salon me parviennent les notes entêtantes de Gnarls Barkley qui entonne « I remember when I lost my mind ». Je me lève, surprise de recevoir un appel à cette heure de la journée. Sur le combiné, un numéro que je ne connais pas s'affiche. Je décroche.

- Bonjour, est-ce que je suis bien chez Monsieur Hamilton ?

- Il n'est pas là pour le moment. Je peux prendre un message ?

Femme FataleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant