Calypso

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Trois mille deux cent cinquante-quatre.

Trois mille deux cent cinquante-cinq.

Trois mille deux cent cinquante-six.

***


Calypso n'aimait pas la pluie.

Assise à même le sol, sous le porche d'une petite épicerie, elle comptait les gouttes rondes venant s'écraser sur le cadavre de son parapluie. Elle ne semblait pas remarquer le vent glacial qui tirait sur les pans de sa robe et s'engouffrait dans le creux de son cou. Immobile et silencieuse, la jeune femme laissait son regard courir entre les pavés rutilants de l'avenue. Pourtant, dissimulée par la cascade d'encre noire qui encadrait sa mâchoire, la teinte bleue de ses lèvres ne mentait pas : elle était frigorifiée.

Elle ne savait pas depuis combien de temps elle attendait, recroquevillée sur elle-même, avec pour seule compagnie le crépitement des intempéries.

En réalité, elle ne savait plus rien.

Elle attendait juste la fin.

Lorsque soudain, quelque chose remua au fond de sa poitrine. Une minuscule boule de chaleur, qui se cherchait une place entre des glaciers trop grands.

« Dis Calypso, pourquoi tu pleures ? »

Elle sursauta.

« Qui est là ? » murmura-t-elle.

Personne ne répondit. La pluie tambourinait toujours dans le silence. Elle était seule.

Personne ne sortirait un jour comme celui-ci.

« Dis Calypso, pourquoi tu pleures ? »

Elle pleurait ? Ha... peut-être. Elle n'avait pas remarqué.

« Je ne sais pas ... » répondit-elle alors.

Elle leva ses yeux gris vers le ciel. Ou peut-être était-ce le ciel qui était gris ?

« Je ne sais plus »

D'imposants nuages sales s'agrippaient au clocher d'une église, rampaient sur les toits délabrés. Leurs lourdes larmes viles continuaient de chanter.

« J'ai mal, mais je ne sais plus pourquoi »

Alors Calypso se leva, et Calypso fit un pas.

Puis deux.

Puis trois.

Déjà, des larmes singulières perlaient de ses paupières, la dentelle de sa robe embrassait sa peau nue...

Un pas chassé.

Une arabesque.

Un entrechat.

Un demi-croissant de lune s'étirait contre sa peau ruisselante.

Calypso n'avait plus froid.

***

Vivre, ce n'est pas attendre que l'orage se dissipe.

C'est apprendre à danser sous la pluie.

CalypsoOù les histoires vivent. Découvrez maintenant