Chapitre 1

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Londres, dans les années 1800

Une odeur de cigarette mélangée à celle du cuir et de la sueur flottait dans l'air. Accoudée au bar, tapis dans l'ombre, je dégustais ma bière après une semaine de dur labeur.   J'en profitais pour observer un peu les gens aux alentours, en général c'est avec un peu d'alcool dans le sang que les langues se délient. Et pour mon métier, toutes les infos sont bonnes à prendre.

Je remarquais le vieux Kelly assis à sa place habituelle dans un coin opposé. Il portait sa traditionnelle chemise verte à carreaux, mais il semblait qu'elle soit plus trouée que d'habitude. Il fumait un de ces gros cigares écœurants, en faisant des ronds de fumée qui dansaient autour de lui. Il croisa mon regard et me fit un clin d'œil. J'aimais beaucoup le vieux Kelly, on se connaissait depuis longtemps et nous avions bossé sur pas mal d'affaires ensemble. Il fait partie de ces personnes qui trainent avec les mauvaises, qui ont un passé sombre, mais qu'on ne peut s'empêcher d'apprécier car on sait que c'est surtout la vie qui ne les a pas épargné.

Martha était la aussi ce soir. Toujours aussi belle, elle portait une robe rouge très serrée à la taille et qui mettait en avant un de ses plus beaux atouts, sa poitrine. Difficile de la regarder dans les yeux. Martha était serveuse au Drunken Duck, et nombreux étaient les clients qui venaient plus pour elle que pour la boisson. Sa présence dans le bar ne dérangeait donc pas le moins du monde, tout comme la présence de filles de joie, de danseuses ou de chanteuses. Ma présence à moi dérangeait. Par ce que j'étais une femme, qui plus est non accompagnée, que je buvais de l'alcool, et que j'étais détective. Ils me voyaient comme un couperet planant au-dessus de leurs têtes, prêt à s'abattre à tout moment. J'avais donc souvent droit à des regards méprisants et des commentaires désobligeants. Mais bon, j'en faisais fi. Martha posa son plateau sur le bar et s'assit à côté de moi :

« - Détective Collins ! Comment allez-vous ?

- Bien et toi Martha ? La soirée ne s'annonce pas trop rude ? En général le vendredi, c'est plutôt mouvementé non ?

- Oui... Oh vous savez, on s'y habitue. Si personne ne meurt ce soir ce sera déjà une bonne chose ! » - dit-elle en riant.

- « Et vous la semaine ? Pas trop éreintée ? Je vois que c'est déjà la 3e bière que je vous sers, ça me semble être un bon indice.

- Tout à fait Martha. Pas simple cette semaine. Tu as dû le voir dans le journal, mais on a retrouvé le petit Kenway dans un des caniveaux de la ville. Sale affaire. »

Son regard s'emplit de tristesse. Tout le monde avait eu vent de l'histoire du petit Kenway. Il avait disparu et l'hypothèse de la fugue était privilégiée. 2 semaines s'écoulèrent avant que nous le retrouvions mort. Pour l'instant nous ne savions toujours pas les causes du drame.

« - MARTHAAAAA ! Bouge ton joli petit cul et ramène-moi un scotch ! »

Martha leva les yeux au ciel, reprit son plateau et s'enquit d'aller chercher un scotch pour le vieux Kelly. Je ne pus m'empêcher de sourire à la vue du vieux bougon.

J'ai juste le temps d'allumer une cigarette qu'un nouveau client entre au Drunken Duck. Mon cœur fait un bond, je ne pensais pas qu'il oserait se remontrer en public et ça faisait déjà bien six mois que je ne l'avais pas vu dans la capitale. Liam Donovan. Plus un mot, les paroles sont suspendues dans le temps. Il semblerait que tout le monde soit aussi étonné que moi. Il se passe bien quelques minutes avant que chacun reprenne ses occupations et que tout le Drunken Duck fasse comme si de rien n'était.

Il s'assoit à une petite table ronde, éclairée par une unique lampe. Je suis tellement abasourdie de le voir ici, que je n'arrive pas à le quitter des yeux. C'est un peu fébrile que Martha va lui ramener sa commande. Liam Donovan est un homme d'une petite trentaine, assez grand, qui porte toujours un manteau en cuir qui traîne parterre. Il a le regard vif, les cheveux bruns en batailles et toujours une barbe de plusieurs jours. Ses yeux sont d'un bleu turquoise comme on en voit rarement. Sa bouche se dessine discrètement entre les poils de sa barbe et il a la fâcheuse manie de constamment passer sa langue dessus. Il est difficile de le confondre avec quelqu'un d'autre, car Liam a toujours une chemise blanche, déboutonnée, qui laisse apercevoir son torse et le gigantesque voilier tatoué dessus. Bien qu'elles le craignent, les femmes ne résistent en général pas à Liam Donovan.

Tout le monde sait qu'il faut se méfier de lui, ses desseins ne sont que très rarement louables. Mon mari, le colonel Markins , n'a de cesse de mettre en garde quiconque croise sa route. Il avait rongé son frein depuis quelques mois, puisque nous pensions ne jamais le revoir. Et à mon goût il devrait rester dans cet optique.

Il se fait tard, et je commence à sentir l'impact de l'alcool sur la fatigue. Je règle mon dû à Martha, et passe aux toilettes.

Je n'ai jamais compris comment c'était possible de pisser trois fois la quantité ingurgitée.

Je sors des toilettes, et je sens une poigne de fer me plaquer contre le mur. Je me retrouve nez à nez avec Liam Donovan encadrée par ses bras.

« - Norah tiens tiens. Ça faisait longtemps.

- Des mois je dirais même. Qu'est-ce que t'es revenu faire dans le coin ? T'es pas le bienvenu je crois.

- J'ai à faire dans la capitale, et comme je sais que tous les vendredis soir tu traines au Drunken Duck, j'avais espoir de t'y croiser. »

Son visage était à 5 cm du mien, nous étions si proches que je pouvais sentir le souffle de sa respiration sur mon visage. Je ne pus m'empêcher de jeter un œil sur son tatouage camouflé derrière sa toison. Je baissais d'un ton avant de chuchoter :

« - Liam à quoi tu joues ? »

Il se rapprocha un peu plus de mon visage, saisi mon menton et me força à le regarder dans les yeux.

« - Ça t'avait manqué non ? Ne me prends pas pour un con, je sais pourquoi tu viens dans ce bar en particulier, et surtout les vendredis. Arrête de te mentir.

- Liam, je n'ai pas vu ta gueule depuis des mois, tu crois que tu peux réapparaître comme ça et me donner une leçon de vie ? Tu te prends pour qui ?!

- Je te rappelle que si tu m'avais rejointe au port comme il était convenu, on n'en serait pas là. Et je ne serai pas obligé de me mettre à découvert dans la capitale juste pour ton joli minois. »

Je me dégageais de lui pour reculer de quelques pas et le toisais de haut en bas.

« - T'en as marre de tes jouets ? T'en veux un nouveau c'est ça ? Tu crois que tu peux débarquer comme ça après des mois de silence, sans nouvelles ? A faire le coq et à te pavaner ? »

Ma réaction était beaucoup plus exacerbée qu'elle n'aurait dû l'être. Décidément l'alcool n'avait pas décidé d'être mon allié ce soir. Je sentais le rouge me monter aux joues et les larmes aux yeux. J'étais à deux doigts d'exploser, heureusement il n'y avait pas beaucoup de vas et viens entre les toilettes et la salle principale. Seules deux personnes étaient passées et nous avaient dévisagé. J'essayais de reprendre ma respiration et de me calmer. Liam revint vers moi et écarta une mèche de mon visage. Il prit à nouveau mon menton dans sa main et plongea son regard dans le mien :

« - Norah. Je suis revenu pour toi. Mon amour propre en a pris un coup lorsqu'il y a six mois, j'ai vu un port vide. Vide de toi. Je ne voulais pas y croire. Après ce qu'on venait de vivre, ça me semblait évident que tu serais là. Je n'ai pas douté une seconde. Et pourtant. Tu n'es pas venue. J'ai ravalé ma fierté, et je suis parti malgré tout. Je pensais que c'était ça que je voulais, j'étais heureux, en tout cas je m'en étais persuadé. Jusqu'à ce que je réalise que je tenais beaucoup plus à toi que ce que je voulais bien admettre. Je suis revenu et me voilà. »

Il se pencha vers moi, entrouvrant ses lèvres pour m'embrasser, mais je tournais la tête en assenant :

« - T'es un grand malade Liam. ».

Je le repoussais d'une main sur son épaule et tournais les talons. Sans un regard pour lui et les yeux embués de larmes je traversais la salle sous le regard interrogateur du vieux Kelly. Je lui fis signe de me laisser et sortais du bar. Il était tard, il pleuvait à seaux et les ruelles du vieux Londres étaient désertes. Je tournais sur ma droite, me mis accroupie en hurlant et laissa les larmes sur mes joues ruisseler et se mélanger à la pluie.


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Voilà le 1er chapitre ! Pardonnez moi s'il y a quelques incohérences, c'est la première fois que je partage "publiquement" ce que j'écris :) ! J'accepte toutes critiques, tous conseils, je fais ça aussi dans le but de progresser et de m'améliorer.

J'attends vos retours <3 !

L'Homme au VoilierOù les histoires vivent. Découvrez maintenant