Mon nom est Dahn et la Zone 38 était ma prison.
Je travaillais dans une usine soixante heures par semaine depuis de longues années et il m'était impossible de faire autrement. Du moins je le pensais. Il fallait être fou pour croire que nos vies allaient devenir plus intéressantes et plus glorieuses. Dans notre monde, dans lequel tout nous était dicté, il n'y avait qu'une marche à franchir pour ne plus exister, pour être oublié. Je n'aurais jamais imaginé qu'un gars comme moi, d'apparence ordinaire et faisant tout pour se fondre dans la masse afin d'éviter les ennuis, puisse un jour envisager de prendre le genre d'initiative qui chamboule toute une routine, monotone et sans avenir. Il fallait être fou, c'est sûr ! Ou alors être emporté par un minuscule espoir, aussi fin et fragile que du papier à cigarettes, une vision d'une clarté absolue, voir féerique. Après tout ce temps, j'avais bien le droit d'en rêver également.
Il était interdit de quitter les zones, autrefois dessinées au grès des cours d'eau et des chaînes de montagnes. Ces limites géographiques, à l'intérieur même de ce qui restait de notre défunt pays, étaient protégées militairement par des postes-frontière et aucun civil ne pouvait les franchir. Des autorisations exceptionnelles étaient données, mais seulement pour des raisons de haute sécurité.
Derrière ces barbelés et ces parpaings entassés les uns sur les autres comme des grains de sable sur une dune, nos gestes et nos paroles étaient contrôlés. Suspicion, trahison et délation y étaient devenues une maxime commune. Cela pouvait même aller jusqu'à dénoncer un collègue ou un voisin, voire un membre de sa famille, sans aucune preuve, uniquement par vengeance. Du fait, les gens parlaient très peu en public et vivaient renfermés sur eux-mêmes, de peur de voir leurs dires mal interprétés, déformés et rapportés aux autorités locales qui économisaient sur les frais de procédure.
Des groupes radicaux organisaient des attentats contre des bâtiments administratifs et attaquaient des petits villages pour les piller. Leurs membres étaient tués par les Troupes de Sécurité, censés assurer notre protection, lors d'assauts diffusés en direct à la télévision. Des exécutions étaient mises en scène, de façon théâtrale, pour le plus grand bonheur d'une foule en délire qui criait sa colère contre ces barbares.
Les quartiers ressemblaient beaucoup à des assemblages de blocs de béton, ordonnés et linéaires, et me rappelaient ces jeux vidéo de briques à entasser. Les rues étaient carrées, les bâtiments rectangles, la ville était terne et sa population triste. Le ciel semblait grisâtre même en plein soleil, et les gens avaient l'air blafards. Les vitrines colorées des magasins avaient disparu pour laisser la place à de vieilles photographies en noir et blanc jaunies par le temps et cloquées par la chaleur. Les avenues s'étaient transformées en longues autoroutes fantômes, uniformes et ennuyeuses, orphelines de voitures devenues inutiles et de toute façon trop onéreuses. Des odeurs artificielles de goudron et de peinture avaient remplacé celles de nos jardins et de nos vergers alentour. On voyait très peu de jeunes enfants. Les habitants n'avaient certainement pas encore retrouvé l'espoir nécessaire pour mettre au monde une progéniture qui aurait eu pour seul destin de foncer droit dans le mur. De toute façon, il n'y avait presque plus de couples.
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Les Ombres: les âmes perdues
AdventureLa Zone 38 avait bien changé depuis le Drame. Et elle était devenue la prison de Dahn, travailleur forcé qui avait perdu toutes traces de sa femme et de sa fille depuis maintenant huit ans. Mais un beau matin, en regardant les infos, un évènement lu...