3_Jayden

62 31 36
                                    

Me voilà en route pour quinze années de prison et bizarrement, je me sens bien, comme apaisé. Je sens que tout va bien se passer, au plus profond de moi, je sens que la paix et le bonheur m'attendent.

Je n'ai aucune idée de la distance qu'on a déjà parcourue, mais le bus est au milieu du désert. Nous sommes une dizaine dans ce bus, tous habillés pareils, tous avec ses menottes aux poignets et au niveau des chevilles qui limitent nos déplacements, mais tous là pour une raison différente, tous avec un passé différent. Tous pareil, mais tous très différents.

En regardant le paysage défiler, je repense au passé, des souvenirs me reviennent. Je me rappelle quand mes parents m'avaient offert une voiture, à mes seize ans, cette voiture était loin d'être la plus rapide, ni celle qui hantait mes rêves les plus fou, mais de savoir qu'une voiture en ce monde m'appartenait c'était le plus beau cadeau que aurait pu avoir.

Comme on adorait le danger, avec ma sœur – qui aimait autant que moi la mécanique et tous les véhicules à moteur – on l'a améliorée jusqu'à ce que ce soit un vrai bolide. Nos parents n'étaient pas souvent à la maison, on avait quartier libre durant leur absence. Je me souviens que parfois en rentrant du lycée, j'allais directement dans notre minuscule garage pour m'occuper de la voiture, c'est une activité qui me détendait après une journée de cours bien remplit. Avec Eleonor, on avait un marché, elle faisait mes devoirs – elle avait un niveau bien supérieur à celui attendu pour son âge et une immense soif de connaissance, faire mes devoirs ne l'a dérangeait pas, ou elle n'en disait rien – et en échange je l'autorisais à conduire ma nouvelle voiture, elle avait à peine quatorze ans à l'époque, mais elle était déjà derrière le volant. Depuis cette passion ne nous a pas quittés. Heureusement que nos parents n'en savait rien, sinon on serait mort à cette heure-ci.

Un autre souvenir me revient à la mémoire, on était plus âgé, la vingtaine. C'est le jour où on a fait notre première course de rue dans Los Angeles. C'était Stefan qui nous y avait invités, étant plus âgé et ayant de l'influence dans ce milieu. On était tellement heureux, je m'en souviens comme si c'était hier. Le bruit des pneus sur l'asphalte, l'odeur des pots d'échappement et de l'essence, les centaines de personnes qui criaient et pariaient sur le vainqueur, ce sont des moments que je n'oublierais jamais. La vitesse dans les virages, les accélérations, les voitures qui te rattrapent, le stress, le danger, ta satisfaction quand tu doubles la personne qui était devant toi, l'adrénaline qui coule dans tes veines... Même si ce jour-là nous n'avions pas gagné, nous n'avions pas non plus perdu et c'était tout ce qui comptait, nous nous étions amusé, on avait oublié le reste du monde et ça faisait du bien. Puis, au moment où un gars avait crié qu'il y avait les flics et qu'on devait filer, on était tellement dopé à l'adrénaline qu'on était devant chez nous en un rien de temps. Ma sœur voulait déjà y retourner, mais cette fois, elle voulait courir, alors à peine rentrer, elle est parti dans le garage pour réparer la voiture qui avait pris quelques chocs. Ce soir-là, je ne l'ai plus revu de la soirée, trop occupé à mettre les mains dans le cambouis.

Je me prends à sourire en me remémorant tant de moment passé avec ma sœur. Ma relation avec ma sœur est assez simple, on pourrait tout faire pour l'autre, pour être ensemble, mais quand c'est le cas, nous sommes comme chien et chat, nous ne sommes jamais d'accord et nous nous engueulons pour rien. Mais surtout, nous nous aimons énormément et ça, c'est l'essentiel.

— Allez ! Tout le monde descend, on fait une pause ! Taché de ne pas tomber, on n'a pas envie de vous ramasser à la petite cuillère ! hurle un garde, me sortant de mes pensées, je n'ai pas vu le temps passé.

Je me lève et sors du bus qui nous a amené là avec tous les autres détenus et on se met en rangs. Je regarde un peu autour de moi, il y a un bâtiment, surement une station essence avec des toilettes et de la nourriture, un garde y est partis pour acheter quelque chose à grignoter. Le paysage est rempli de cactus, il n'y a rien à l'horizon, pas une trace de vie. Soudain, du côté de la route, j'entends un bruit que je ne connais que trop bien. Le son des moteurs provoque en moi des sensations indéfinissables, j'ai l'impression de revivre, de me réveiller d'un songe après une bonne nuit de sommeil, une impression qui est toute sauf normal dans ces conditions. Avant même de me retourner pour regarder ces voitures, je sais que mes amis sont dedans, au bruit des moteurs, des pneus, je les connais tellement bien, je les ai réparé tant de fois que je pourrais les reconnaitre les yeux fermés. Les gardes n'ont encore rien remarqué, mais je vois bien que certains des prisonniers se posent déjà des questions. Moi, la seule question qui me vient à l'esprit, c'est "Qu'es ce qu'ils font ?" puis le fameux "Pourquoi ?", mais je connais déjà la réponse : Eleonor. C'est elle qui les a persuadés de m'aider, j'en suis sûr, elle a toujours été très forte pour ça.

Les véhicules approchent à une vitesse folle, les gardes ont compris que quelque chose n'allait pas, ils sont loin d'être cons. Je profite des voitures qui attirent toutes leurs attentions pour m'éclipser, une occasion pareille n'apparait pas deux fois. Je cours le plus vite possible pour me cacher du champ de vision des gardes. Malheureusement, j'ai oublié un paramètre, j'ai des menottes qui m'enserrent les chevilles et courir avec ça, c'est tout sauf simple. Alors évidemment, l'inévitable se produit. Je trébuche. Mon corps se rapproche du sol. Je tends mes paumes devant moi, pour amortir le choc. Je heurte le mélange de terre et de sable qui forme le sol dans un bruit mat. J'essaie de le relever en vain. Les menottes entravent mes mouvements, m'empêchant de me relever. Ce n'est qu'une question de secondes avant que les gardes remarquent ma disparition et fasse le lien avec les véhicules qui continue sur route à vive allure vers nous. Dans une dernière tentative pour me remettre debout et partir de cet endroit au plus vite, je me frotte d'un peu trop près au cactus qui était derrière moi et que je n'avais pas remarqué. Ça me pique, me brûle, j'ai envie de hurler, mais aucun son de sors de ma gorge. Je ravale ma douleur et regarde les dégâts. Ce n'est pas beau à voir, je perds beaucoup de sang, la plaie est large et longue, mais peu profonde en apparence. C'est déjà ça, mais maintenant, il n'y a plus aucun espoir. Les véhicules commencent à ralentir. Je me sens abandonné, perdu, tous ses efforts réduits à néant par une pauvre chute. Je me vois dans cette prison, je ne peux plus y échapper maintenant, c'est la fin...

Les gardes s'aperçoivent enfin que je ne suis plus dans le rang avec les autres quand une main se pose sur mon épaule, une main de femme. L'espoir renait en moi. Sa chevelure rousse et bouclée s'accorde parfaitement avec la tenue de détenue qu'elle porte et ses iris couleur caramel. Ce sont les seules choses que j'ai le temps de voir de cette femme. Elle est déjà en train de m'aider à me relever, je la remercie du regard et nous nous réfugions derrière une voiture, à l'abri des regards. Je déchire un bout de ma combinaison orange pour l'attacher autour de ma blessure. Je perds du sang, beaucoup de sang même. Les gardes nous cherchent, arme en main. Ma sœur et mes amis sont presque à notre niveau. Je lui montre les voitures du doigt et les gardes de l'autre, mais dans ses yeux, je vois qu'elle a tout compris depuis longtemps. Je lui fais signe de me suivre et de ne pas faire de bruit. Nous nous rapprochons de l'asphalte brûlant de ce début juin, moi en boitillant, elle, en me soutenant. La première voiture s'arrête à peine quelques secondes. Sans réfléchir, j'ouvre la portière arrière et pousse la femme aux cheveux de feu à l'intérieur. Si je la laisse avec les gardes enragés, soit ils la tuent, soit elle a de sérieux problèmes et dans chacun des cas, je ne peux pas me résoudre à la lâcher dans les lions. Je sens en cette femme quelque chose de spécial, même si je ne la connais que depuis quelques minutes, mon instinct me dicte de ne pas l'abandonner. Ma sœur repart aussi vite qu'elle est arrivée, en un seul regard, elle a compris ce que je voulais lui dire "merci". Le véhicule blanc de Neya suit de près celui de ma sœur. Stefan ralentit juste assez pour que je puisse sauter dans la voiture malgré ma blessure. Des coups de feu retentissent. L'un d'eux me frôle, mais nous sommes trop loin. Je n'arrive pas à y croire, je me suis évadé ! Grâce à Eleonor, elle est si têtue parfois, mais aujourd'hui, je ne lui en veux pas, elle a pris la bonne décision. Maintenant, il va falloir qu'on disparaisse et surtout qu'on ne se fasse pas prendre.

C'est le début d'une longue cavale...

SANS UN REGARD EN ARRIÈREWhere stories live. Discover now