Chapitre I

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PDV d'Yvélia:

Les couleurs d'automne dominent le paysage, tout est roux, jaune, marron. Les feuilles tiennent bon sur les branches des arbres qui les ont vu naître, pour combien de temps encore ? Chaque souffle de vent en ravit quelques-unes au passage, les laissant s'étaler au sol, former un manteau coloré, craquant sous le pied. Quelques oiseaux volettent çà et là, se chamaillent pour une brindille, se posent à un endroit puis repartent.
 
- Mademoiselle.
 
Parfois ces oiseaux perdent leurs plumes et ces dernières s'ajoutent aux feuilles mortes jonchant le sol. Quelques personnes passent par intermittence dans la cour, ne lui laissant aucun répit. Les uns pressés, les autres prenants leur temps. Chacun avec sa démarche, sa façon d'avancer, de se mouvoir dans l'espace.
 
- Mademoiselle Lorel.
 
La voix de Monsieur Lanvois me tire de ma rêverie. Emergeant à grand peine, je lève les yeux vers lui. Mon attitude l'agace :
 
- Vous commencez bien l'année jeune fille. Cela fait-il un mois que les cours ont commencés et j'ai déjà du vous reprendre à maintes reprises. Le bac est à la fin de l'année, dois-je vous le rappeler ? Je m'excuse sincèrement mais je ne pourrai pas le passer à votre place. Avouez que cela vous arrangerait.
 
Personne ne parle dans la salle, tous les yeux sont rivés sur le professeur en train de me rappeler à l'ordre pour la énième fois.
 
- Faites attention à vous, je ne le répéterai plus : la prochaine fois c'est la porte.
 
Instinctivement je tourne mon visage dénué de toute réaction vers la fameuse porte et plante mon regard dessus. C'est en effet une offre tentante. Je soupire et reporte à regret mon attention sur ce cher professeur, j'ai promis à ma grand-mère de faire des efforts :
 
- Je m'excuse monsieur.
 
Ma voix se déploie, légèrement rauque dû à ce manque de sollicitation de ma part. Me tournant le dos et retournant à son tableau il me lance un dernier « j'espère bien » avant de m'oublier à nouveau.
Je prends à regret mon stylo pour noter ce que je peux mais bien vite les mots commencent à s'entrechoquer dans ma tête, tout devient flou. Déjà, mes yeux n'arrivent plus à se rattacher à un point, laissant ma vue se brouiller sans que je ne puisse rien y faire. Encore un de ces jours où je suis absente. Physiquement présente mais mentalement loin. A des lieux d'où je me trouve. Où suis-je vraiment ? Je ne sais pas, quelque part, perdue.
 
            Renonçant, je range mon stylo dans ma trousse avant d'en refermer la fermeture éclair. Je rabat ensuite mon cahier et le glisse dans mon sac. Seul deux ou trois personnes me regardent étonnés, se demandant surement ce que je fais. Lorsque je me lève, tous les autres me dévisagent à leur tour. Tandis que je commence à avancer entre les rangées de table j'entends un murmure s'élever. Des ricanements aussi, je crois.
 
- Pourrait-on savoir ce que vous faîtes Mademoiselle Lorel ?
 
Je ne prends pas la peine de répondre. Ça se voit non ? Je continue mon chemin et lorsque qu'il monte d'un ton pour me prier de me rassoir, j'ai déjà refermé la porte derrière moi.
 
            Une fois dans le couloir désert, je m'affale dos au mur et laisse tomber mon sac au sol. La chute résonne dans le silence du corridor. Je ferme les yeux. Qu'est-ce que j'ai fait ? J'imagine déjà le prof signalant mon départ à la vie scolaire, une fois la pause annoncée. J'imagine le CPE, appelant ma grand-mère, un air affligé sur le visage : « oui Madame Arliot, votre petite fille a encore séché un cours. » Je vois d'avance le regard pesant de ma grand-mère, se posant sur moi dès que j'ai franchi le seuil d'entrée. Encore une fois, je lis la pitié sur ses traits.
 
            Je ne peux pas rester là à ne rien faire, je dois assumer mes actes, il est maintenant trop tard pour revenir en arrière. Comme toutes ces fois où je ne sais pas où aller, je cours me réfugier à la bibliothèque du lycée. Dès qu'elle m'aperçoit, la documentaliste assise derrière son comptoir me lance un grand sourire et me fait signe d'approcher :
 
- Je viens d'enregistrer un nouveau livre, j'aurais besoin d'un avis dessus.
 
Elle me le tend et je décrypte sa première de couverture, Le passager de Jean-Christophe Grangé.
 
- C'est un peu particulier je crois.
- Je le prends.
 
Je lui redonne le temps qu'elle scanne le code barre pour l'ajouter sur mon compte. Enfin je vais m'installer à la place où je vais toujours. Pour me trouver c'est très simple, il suffit de se diriger vers le fond de la salle, de tourner sur votre gauche, juste après la dernière étagère regroupant les livres de la sectiongéographie et là, dans le coin se trouve ma table, et sur la chaise se trouve moi-même. Une place taillée sur mesure où personne ne vient jamais m'y déranger.
 
            Comme d'habitude, je ne vois pas le temps passer et je dévore le livre, littéralement. Je suis happée par le style d'écriture de l'auteur, par son imagination débordante, par le suspens intenable présent dans son œuvre. Ce gars est un génie. Pourtant mon ventre n'est pas de cet avis et se manifeste bruyamment. Prenant soin de marquer ma page, je regarde ma montre et remarque qu'il est en effet déjà l'heure d'aller manger. Je repars aussi discrètement que je suis venue et une fois sortie de la bibliothèque, prends la direction de mon casier. C'est peut-être parce que j'y déposai mes affaires que je n'ai pas entendu Ashley approcher :
 
- Tiens, tu es encore là ?
 
Je me tourne vers elle et la regarde évasivement avant de retourner toute mon attention vers mon casier, il m'attire beaucoup plus à vrai dire.
 
- Tu sais, je dois t'avouer qu'on a eu vraiment peur. On a tous cru que cette fois-ci était la bonne.
 
Je ne prends même pas la peine de la regarder à nouveau. Voir son beau visage à la peau lisse et parfaite, ses beaux yeux bleu, sa tignasse bouclée blonde ? Très peu pour moi, merci. Comment se fait-il que cette fille soit le cliché incarné de la pouffiasse ? On a tous cru que cette fois-ci était la bonne.  Que dois-je comprendre par-là ? Ne voulant pas lâcher prise, elle reprend :
 
- Au départ on s'est tous affolés, on n'entendait pas d'ambulance on s'est dit que personne ne t'avait trouvée. Alors...
 
Je tourne finalement vivement la tête de son côté et plante mon regard dans le sien :
 
- Alors je suis sincèrement désolée de vous avoir effrayés.
 
Avant qu'elle n'ait le temps d'en rajouter, je referme mon casier en en claquant la porte et part me fondre dans la masse des élèves en direction du self. Etre considérée comme la dépressive du bahut est plutôt dur à supporter. En général les gens se contentent de parler entre eux ou de penser trop fort dans leurs têtes mais Ashley elle, pense tout fort. Elle s'époumone pour rien, rien de ce qu'elle me dit ne peut me toucher, je suis habituée depuis maintenant longtemps à ses remarques. Au bout d'un moment on arrive à surmonter ses émotions et à devenir imperméable à ce genre de réflexions. Ce qu'on ressent, on le renferme au plus profond de soi-même. Il suffit juste de faire en sorte que ça n'explose pas. Si Ashley savait vraiment qui j'étais, oserait-elle me railler ou aurait-elle trop peur de moi ?
 
            Le mardi après-midi est un des rares moments que j'arrive à apprécier : il est entièrement consacré au théâtre : trois heures d'affilées, cinq élèves encadrés par un comédien. Ce cours est le seul où je peux ne plus être moi-même, endosser le rôle d'un ou d'une autre, où je peux m'oublier.
En entrant dans la salle, Bertrand le comédien, me salue avec un sourire polit. Moi je me contente de hocher la tête et d'aller me poser dans les gradins de la salle. Je ne souris jamais, à personne. Je ne sais même plus ce que c'est que de sourire et de toute façon je n'en ai pas la force. C'est sans doute une des raisons pour lesquelles la plupart des gens préfèrent se tenir à l'écart de moi. Une autre de ces raisons et surement que, de toute façon, je ne cherche la compagnie de personne, et que personne ne nécessite ma présence.
 
            Chacun notre tour, nous devons passer sur le plateau afin de jouer nos scènes de bac que nous préparons depuis maintenant deux semaines. Lorsque mon tour arrive un léger stress me gagne, dû à ces paires d'yeux se trouvant en face de moi et me regardant avec attention. Je n'aime pas que l'on me regarde, j'ai l'impression de me mettre à nu. Mais là c'est différent, ce n'est pas moi qu'ils regardent, juste la fille qui va bientôt en incarner une autre.  Je ferme les yeux un instant pour me concentrer. Je chasse de mon esprit toutes ces images capables de m'assaillir et me focalise sur ma respiration afin de me calmer. Puis, je me concentre ensuite sur le silence qui m'entoure. Et à ce moment je me sens puissante et je sais que je suis prête. J'ouvre les yeux et au milieu de la scène, ce n'est plus moi, j'ai disparu. A ma place se trouve maintenant le personnage que j'incarne. Les mots, les gestes, tout coule naturellement. Je ne fais plus qu'un avec le personnage. Je suis le personnage :
 
Regarde,
N'aie pas peur,
Regarde,
Ils sont tous là.
Viens,
Approche.
Regarde
Les hommes,
Là,
Comme une armée silencieuse.
Tu vois,
Tu n'y croyais pas.
Ils sont là.
Regarde,
Pétrifiés, devant nous.
C'est moi qui ai fait cela.
Approche,
Viens,
Approche,
Regarde bien,
Tu croyais à des statues immobiles,
Des hommes figés dans la pierre
Et pourtant examine bien leurs traits lorsque j'approche mon visage du leur.
Tu as vu ?
Là.
Regarde.
Un frisson parcourt la pierre.
Ils me sentent.
La terreur monte en eux.
Oui, c'est moi.
Je reviens.
Ils sentent mon souffle.
Ils entendent ma voix.
De lents spasmes de granit leur déforment les traits.
Tu trembles à ton tour.
Tu te demandes quel monstre je suis.
Pour faire gémir les morts.
Et pleurer les statues.

  PDV de Connor:



             C'est au tour d'Yvélia de jouer. Tandis qu'elle va lentement se placer, ses yeux restent rivés au sol, on peut presque sentir son malaise. Pourtant, une fois qu'elle se place au centre du plateau, face à nous, yeux clos, elle semble reprendre de l'assurance. Absorbé par le spectacle qu'elle peut nous offrir rien qu'en cherchant sa concentration, je la détaille sous toutes ses coutures : voir ses sourcils se froncer légèrement, sa poitrine se soulever au rythme de sa respiration puis... d'un coup, plus rien. Un visage neutre, calme. Elle est si proche de nous et à la fois si lointaine. C'est un étrange sentiment lorsque l'on regarde quelqu'un. A chaque fois que je l'observe, j'ai l'impression qu'elle fait partie d'un monde différent du mien, différent de celui de n'importe qui. Elle s'enferme dans le sien. Lorsqu'elle se déplace dans les couloirs, dans la rue, sa démarche s'apparente à celle d'un fantôme. Il y a des gens qu'on qualifie « d'inaccessibles ». Pour Yvélia, même ce terme n'est pas assez fort.
 
            Elle rouvre enfin les yeux et commence à jouer. En face de moi, ce n'est plus la fille effacée qui, en cours, regarde  par la fenêtre et affiche une mine sombre, c'est Yvélia dans toute sa splendeur. Je ne pense pas qu'elle soit consciente de la force qui émane d'elle lorsqu'elle joue, de la façon dont les émotions la traverse et de celle dont elle arrive à les communiquer au public. Elle doit être la meilleure de notre cours. Quand je la vois sur scène, je la vois vivre. Elle garde la tête haute, elle peut te regarder dans les yeux et réussir à soutenir ton regard sans avoir envie de s'échapper. Elle chante, elle pleure, elle cri. Et elle sourit. Je ne l'ai jamais vu sourire si ce n'est sur scène. Et vous pouvez me croire, quand son visage est ainsi illuminé, elle est magnifique. Alors, comme à chaque fois que je la regarde, je me demande pourquoi elle ne sourit jamais, pourquoi le reste du temps elle est enfermée sur elle-même, absente et sombre.
 
            La scène se termine et Yvélia l'effacée refait son apparition. Elle regarde Bertrand, attendant son analyse. Toute son assurance semble à nouveau la quitter. Pourtant elle n'est pas faible, je le sais. Une fois son tour passé, elle retourne s'asseoir dans son coin sans déranger personne. C'est alors au tour d'Ashley, qui se révèle être un supplice pour tout le monde. Elle veut se donner des airs de diva qu'elle n'a pas. Je suis sincèrement désolé chérie, mais le talent ça ne s'invente pas. Alors exit.
 
            A la fin du cours, Bertrand nous préviens de consulter nos mails régulièrement parce qu'il nous enverra sous peu des coupes de textes afin de préparer une seconde scène, en amont. Alors qu'Yvélia passe la porte, Ashley se précipite en avant pour la bousculer. D'un rire moqueur, elle s'excuse faussement avant de disparaitre. J'observe alors Yvélia se redresser pour garder un minimum de fierté, pour ne pas trop s'écraser à côté de l'autre peste. Puis elle continue sa route, sans plus répliquer. Pourquoi accepte-t-elle de se faire persécuter ?  

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J'espère que vous avez aimé ce premier chapitre!

N'hésitez pas à me parler de vos avis en com, je suis open ;)

Je dois vous avouer que moi ce n'est nettement pas mon préféré mais bon...

Je suis consciente que c'est le premier et que je devrais écrire un premier chapitre fabuleux

pour donner envie de lire la suite... 

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