Sept

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C'était drôle comme tout au Stellar allait si lentement mais si vite. C'était calme, mais en même temps trop d'évènements m'arrivaient dessus en même temps.
Le mercredi, comme il était ouvert toute l'après-midi, les gens étaient à la fois posés, dans des BDs ou en train de discuter entre amis, mais certains partaient tôt, d'autres arrivaient tard, et un mouvement perpétuel s'installait chaque semaine à ce jour.

Cela faisait déjà presque deux heures qu'ils jouaient au Loup-Garou, accueillant les nouveaux venus dans leur cercle à chaque nouvelle partie.
Thomas, Pluie, Teri et Lilian étaient, eux, installés dans les poufs, qu'ils avaient tous réquisitionnés pour pouvoir s'allonger tous les quatre et parler.
Les trois vieux hommes avaient pris l'habitude de venir le mercredi et le week-end s'installer sur la terrasse du Stellar World, et je les voyais sourire dès qu'un nouvel adolescent entrait, faisant sonner le carillon. Ils avaient l'air gentils, comme les papis dans les dessins-animés. Lowen et Piotr s'activaient pour servir tout le monde de boissons et autres encas, et pendant le service je les entendais parler d'un certain livre que Lowen écrivait.
Piotr donnait une idée, ce qui faisait sautiller le deuxième car il en avait une géniale grâce à son ami. Je n'avais pas compris exactement de quoi parlait le livre, mais je crois qu'il se passait ici même.
Une femme était venue, avait échangé quelques mots avec le gérant, et était allé dans le couloir. Ca m'étonnerai que ce ne soit que pour se laver les mains. C'était étrange de se dire que Nayana n'était pas que ma confidente à moi.

Beaucoup de mouvement, beaucoup de gens qui n'étaient que de passage, mais j'aimais bien, je crois. Je pouvais observer, encore.

J'observais leur groupe se former, se déformer, au guise des mouvements de chacun, leur cercle s'agrandir et se resserrer lors des passages, les rires qui s'envolaient et les sourires échangés, ces regards rieurs en coin lorsque deux mains s'effleurent en face, les blagues lourdes qui font rire parce qu'elles le sont, la complicité de chacun comprenant ce que les autres disent, les larmes prêtes à couler pour certains mais pourtant refoulées par les éclats de rire qui font mal au ventre, les perles au coin des yeux, les respirations compliquées à reprendre, la joie, le bonheur de juste être là avec ses amis, de même plus savoir pourquoi on rit mais c'est si drôle, l'amitié véritable...

Je me levai soudainement, et me précipitai aux toilettes, ouvrant la porte à la volée faisant sursauter un garçon devant le miroir. Je m'agenouillai devant des toilettes et vomis le peu que j'avais dans le ventre suite à mon maigre goûter, composé des gressins de Lowen et d'une compote de coin qu'il m'avait donné.

Je retirai mes lunettes, les laissant sur le carrelage froid, et je commençai à pleurer. De longs sanglots secouèrent mes épaules, mais sans en tenir compte je me relevai et, d'une démarche bancale, vint me rincer la bouche, laissant les larmes dévaler mes joues. Le jeune garçon était parti, peut-être avait-il eu peur de moi... Mes sanglots redoublèrent, puis la porte s'ouvrit doucement, et je vis du coin de l'œil Cam, Lilian et une autre fille entrer.
Je fis comme si de rien n'étais, cachant mon visage derrière ma mèche comme toujours, retenant ma respiration et mes hoquets.
Mais ils étaient venus pour moi...

Leurs regards étaient perdus et un peu paniqués, et s'approchant de moi, la troisième fille me demanda :
« Hey, ça va ? »
Je baissai la tête pour qu'ils ne voient pas la pluie de mes yeux, et répondis tant bien que mal :
« Oui...
- Pourtant on dirait pas... dit Lilian, passant une main réconfortante sur mon dos, inquiet.
- Oui, April a raison, c'est rare de voir quelqu'un partir en courant, puis vomir, et qui va très bien tu sais, » renchérit la rousse.
April ne s'appelait donc plus Lilian. Il faudrait que je le note.
« Tu sais, tu peux nous dire ce qu'il ne va pas... Ca se voit que t'essayes de pas pleurer... »
Un long silence s'ensuivit.
« ... Je n'ai pas digéré le repas de ce midi... Ma mère a cuisiné pour la première fois... Et je suis très sensible à... Ça... C'est pour ça que je pleure...» 

La fille brune soupira, ne semblant pas me croire, mais ne dit rien. Je les imaginais se lancer des regards derrière moi, ne sachant pas quoi faire.
Doucement, je me détournais, laissant la main d'April retomber, et alla prendre mes lunettes restées par terre.
Je me dépêchais d'aller prendre mon sac resté entre les coussins, voyant du coin de l'œil un Lowen inquiet, échangeant avec un André dans l'incompréhension. 

Je tirai la poignée bleue, faisant entrer un peu d'air frais du mois d'octobre à l'intérieur, qui vint caresser les tapis arcs-en-ciel et les mèches rebelles des habitués. Le carillon fut secoué, lançant deux notes cristallines dans la lumière de l'après-midi.
« Au revoir... murmurais-je.
- À bientôt ! » entendis-je le gérant du Stellar World lancer juste avant que la porte ne se referme.

Mes pieds se posaient sur les dalles devant le Stellar, entre les tables et les fleurs, résonants d'un bruit distinct, et puis mes pas se retrouvèrent sur le goudron du trottoir, mes yeux embués ne voyant que mes chaussures grises percuter le sol.
Bifurquant dans une rue moins fréquentée, je me laissait glisser contre un mur beige, me roulant en boule, et laissant mes sanglots éclater véritablement sous mes bras.

Je n'avais pas d'amis.

☆ THE STELLAR WORLD ☆ (Et toute sa petite troupe) [PRESQUE ABANDONNE]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant