Sylvae : Le Massacre des Étoiles

Chapitre 2 : Convocation

Je glisse mes doigts sur le velours rouge de la chaise, aussi proche du bordeaux que mon uniforme militaire. Doux et rigide à la fois, ce velours représente bien le doyen, le général instructeur. Bien qu'il m'ait lui-même convoqué dans son bureau, il ne fait pas attention à moi. Droit, il signe des papiers. Le général Richeulieu est toujours occupé, mais jamais débordé. Il aime que les choses soient bien faites. De ce bureau, il a un contrôle total sur l'école d'officier internationale, et personne n'a rien à en redire.

Je patiente. Il finira bien par se réintéresser à moi. Après tout, c'est lui qui m'a convoqué. Pourquoi ? Je ne sais pas exactement. Quand le haut-parleur de la salle de classe s'était mis à grésiller et avait prié Aourel Roverch de venir dans le bureau du directeur de l'établissement, je n'étais pas plus étonnée que ça. Mes camarades non plus. Depuis que j'ai récemment été admise en classe de stratégie, une spécialisation à partir de la troisième année de cursus, ils s'attendaient à tout moment à ce que je retourne en classe d'officier de l'armée de terrain. Je suis loin d'être une mauvaise élève, mais moi-même je m'étais étonnée de me retrouver dans l'élite de l'élite de l'élite.

Le doyen posa enfin son crayon sur le bureau.

-Prête pour le décollage, apprentie Roverch ?

-Il ne faut bien. Ça fait des années que vous nous préparez à cette expérience, Général.

Le sourire chaleureux de Richeulieu s'étira. Il m'aimait bien, ça se voyait. Mon répondant, loin d'être irrespectueux, avait tendance à plaire aux professeurs. Je n'ai jamais eu peur de leur parler. Depuis que j'approche de l'âge adulte, il m'est plus aisé d'engager la conversation avec eux, alors que la plupart de mes camarades en sont encore à trembler lorsque un adulte de l'école leur adresse la parole.

-Vous savez pourquoi je vous ai fait venir ici ?

-Je n'ai rien fait de réprimandable depuis un bout de temps. Je suppose que ça a un rapport avec mon étonnante promotion en classe de stratégie ?

Est-ce que je mérite ma place enclasse de stratégie ? Je n'en suis pas certaine. Et comme mes camarades, j'ai tendance à penser que j'ai gagné ma place grâce à ma bonne entente avec nos professeurs. Il était clair que je n'étais pas la seule à me poser des questions sur ma légitimité d'être admise dans la formation la plus prestigieuse de l'école la plus prisée du monde.

Richelieu sourit une fois de plus, fière de son poulain. Il devait penser que c'était culotté d'entrer ainsi dans le vif du sujet. Après tout, si moi-même je reconnais que je n'y ai peut-être pas ma place, pourquoi le penserait-il ?

-Je voulais surtout vous souhaiter bon courage pour vos trois prochaines années sur Sylvae.

-À moi seulement ? demandais-je amusé.

Je ne suis pas dupe. Ce rendez-vous a bien un rapport avec cette curieuse promotion.

-Je pense que vous avez besoin de soutien. Ces prochaines années ne seront pas faciles pour vous. D'abord vos résultats scolaires de l'année dernière sont très bons, certes, mais loin d'être suffisant pour entrer dans la classe de stratégie.

C'est frontal. J'ai beau le savoir et mes camarades le penser, c'est étrange venant de la part de la personne qui a probablement appuyé ma candidature. Je me liquéfie intérieurement. Comme la totalité de l'école, le directeur ne pense pas que je devrais accéder à cette élite.

-J'en ai conscience.

-Il y a une vingtaine de dossiers qui auraient dû passer devant vous. Mais savez-vous pourquoi je vous ai choisi ?

-Je suppose que le fait que je vous sois sympathique ne suffirait pas ? tentais-je.

-J'ai vu le travail que vous avez fourni pour la logistique de vaisseau transplanétaire. Vous êtes débrouillarde, ambitieuse, efficace. Vous avez une force de caractère qui, je suis sûr, vous sera bénéfique un jour. Sylvae est une nouvelle planète, l'espoir de l'humanité. Nous avons besoin d'esprits imaginatifs à sa tête. Vous n'avez pas le meilleur dossier, vous êtes loin d'être aussi perfectionniste que vos camarades, mais vous avez de l'idée. Si vous vous accrochez au programme scolaire, je pense que vous pourriez faire des merveilles une fois en poste.

Je sens le sang me monter aux joues. J'ai une soudaine envie de croiser les jambes et les bras, mais je me retiens.

-Et si je n'y arrive pas ?

-C'est un risque à prendre. Vous êtes un pari, apprentie Roverch. Soit vous échouez, soit vous serez un jour l'une des plus grandes commandantes de Sylvae. Et j'y crois. Profondément. Votre formation nous coûte un montant exorbitant. Je ne prendrais pas ce pari si je vous pensais incapable de l'emporter.

-Visiblement, vous me faites confiance. Je ferais tout pour ne pas vous décevoir, Général.

-Je peux vous donner quelques conseils ?

-Si je ne m'abuse, je suppose que vous m'avez convoqué pour ça.

Nouveau sourire. Il n'y a pas à dire, il me voit effectivement comme son poulain, une pierre brute qui dévoilerait un jour tous ses éclats.

-Gonflez vos notes de fin d'année. Mentez. Dites à vos camarades que suite à des heures de révisions, vous avez réussi vos examens haut la main, que ça justifie en partie votre nomination. Aucun membre de l'équipe pédagogique ne vous contredira. Et sinon, n'essayez pas de faire des miracles, continuez juste votre route. Si possible tentez d'améliorer votre situation sociale dans l'école. Je sais que vous avez des amis très fidèles, mais vous êtes un jour invité à les commander tous : l'armée de terrain, aérienne, biologique, médicale, logistique, ingénierie. Plus tôt vous serez considérée comme une leader, plus ça sera facile pour vous.

Je hocha la tête, consciente que je suis loin de totalement comprendre ce d'en quoi je m'engage. Et pourtant, il le faudra bien, le décollage des navettes aurait lieu le lendemain à l'aube.

-Je prend note de vos conseils. Merci de votre confiance, Général.

L'entretien avait été court, mais instructif. Je me lève, tend ma main pour qu'il la serre. Ce qu'il fait. Sa main est chaude, sa poigne ferme.

-Je vous souhaite un bon voyage. Sylvae vous attend, apprentie Roverch !

-Merci encore. Je ferai tout mon possible pour ne pas vous décevoir.

 Mais en suis-je seulement capable ? Car au vu des deux dernières semaines écoulées depuis la rentrée des classes, rien ne va dans ce sens.