Mardi

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Le moteur vrombissait, et les pneus heurtaient inlassablement les crevasses éparpillées sur la route. La chaussée était sale, abîmée et oubliée de tous, mais elle offrait un paysage à en couper le souffle. Des arbres se dressaient le long de la route, exhibant fièrement leurs branches torsadées, caressées par les rayons ardents de l'astre flamboyant. Les parures feuillues baignées de lumière ornaient de toute part les rameaux tenaces. Il n'en fallu pas moins pour séduire nos compères, qui s'extasièrent devant cette sublime symphonie fulgurante. Cette vision restera gravée à jamais dans leur rétine. Ou peut-être pas. L'un deux n'en avait que faire de la beauté extérieure, cela n'allait pas lui rendre la perte de ce qui était cher à ses yeux. L'indifférence était la meilleure des armes qu'il possédait, et il l'usait à tout va. Immergé dans son monde, les yeux clos, la mélodie rythmée par les basses faisait vibrer chaque cellule de son corps. Il était là sans être là, esquivant les chansons routières qui amusèrent la petite dernière. Leurs voix n'arrivaient pas à l'atteindre, et c'était mieux ainsi, pensait-il.

« Eldwin... Eldwin... Eldwin ! »

Une petite main enleva l'un des côtés du casque, brisant la bulle de protection qui entourait le jeune homme.

« Eldwin, Maman t'appelle », dit-elle en chuchotant.

Le jeune homme retira sa musique puis releva la tête, dépité.

« On est arrivé ! Voici notre nouvelle maison ! Alors, elle vous plaît ? »

La voix enjouée de Mme Hopkins agaça Eldwin. Alors que son frère aîné avait l'air ravi, que sa petite sœur bondissait partout dans l'allée fleurie et que son père observait la devanture faite de lambris, Eldwin ne pouvait s'empêcher de laisser échapper un soufflement. Il aurait tout donné pour rester dans son ancienne vie.


« Chéri, tu vas être en retard pour le lycée. Allez, lève-toi ! »

Mme Hopkins tira d'un coup sec les rideaux, laissant une masse de lumière éblouir le visage encore endormi d'Eldwin. Il fronça les sourcils et plissa son visage, tout en tirant l'épaisse couverture qui lui servait de cocon douillet. Hors de question de quitter sa chrysalide, surtout pour ce que lui réservait cette journée. Le premier jour, celui où tout va recommencer. Une nouvelle vie, une seconde naissance, comme si rien de ce qui s'était passé avant n'avait existé. Il ne pourrait pas le supporter. Il ne voulait pas le supporter. C'était trop dur. Son vide se remplissait de néant au fur et à mesure qu'il réalisait ce que les changements impliqueront. L'angoisse, la solitude, la déception le submergeait peu à peu. Et s'il y perdait pieds ? Impossible. Ils ne le laisseraient pas faire. Pas avant que son héritage ne lui parvienne. Se lever n'était pas une option, et il l'appris par sa cadette, qui s'amusait à sauter sur son lit en visant les parties de son corps emmitouflées dans la couette. Ce jeu l'amusa quelques minutes, avant d'aller réclamer son petit-déjeuner. Eldwin souleva la couverture. Elle n'y était pas allée de main morte. Certaines zones sur la peau d'Eldwin prirent des teintes jaunâtres et bleuâtres.

La semaine se passa longuement. Les jours se ressemblèrent, et Eldwin passait le plus clair de son temps à broyer du noir, seul. Le lycée était plus que banal, les autres élèves ne lui prêtaient guère attention, mais cela l'arrangeait. Il était seul, du matin dès l'aube jusqu'à tard dans la nuit. La pénombre gagnait du terrain, et il ne luttait pas.


Un jour, alors qu'Eldwin rentrait de sa journée de cours, une sensation étrange lui parcourut l'échine. Une sorte de frisson, comme un mauvais pressentiment. La voiture de son père était garée dans l'allée, et on pouvait apercevoir par la fenêtre Mme Hopkins, en plein dans les fourneaux. L'atmosphère n'était pas la même. On aurait dit qu'elle essayait d'être chaleureuse, mais cela provoquait tout le contraire. Lorsque le jeune homme entra, tout brillait comme un sou neuf. Même sa chambre avait été faite. Aucun vêtement ne traînait, et son linge propre était plié et rangé dans ses tiroirs. C'était la première fois que quelqu'un d'autre que lui avait rangé sa chambre. Cela ne lui plu point. Il farfouilla afin d'y voir plus clair. Peut-être que quelqu'un avait fouillé sa chambre en quête de quelque chose de néfaste, afin de retourner tout le monde contre lui. Ou bien de l'abandonner. Cela ne l'étonnerait guère. Mme Hopkins avait beau essayé d'être gentille avec lui, ses enfants passaient toujours avant. Et son regard, il y avait une infime lueur de jalousie qui brillait dans le reflet de ses yeux, et une pointe de mépris dans le ton qu'elle employait lorsqu'elle lui adressait la parole. Eldwin décida de s'affaler sur son lit, sa seule zone de confort, lorsque qu'une voix assez aiguë appela toute la petite famille afin de passer à table. Le jeune lycéen s'y rendit.

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 16, 2021 ⏰

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Recueil de Nouvelles FantastiquesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant