Le pacte du diable

II

 J'avais toujours considéré les chasseurs de dragons comme des mages arrogants et trop fiers pour reconnaître leurs propres faiblesses. Des êtres supérieurs en tout, capables de bouger des montagnes et endiguer des foules. Bref, des personnes ne ressemblant en rien au commun des mortels auquel j'appartenais.

Pourtant, en cet instant, Sting était tout le contraire.

Lamentablement avachi sur la banquette du train dans lequel nous avions sauté, il faisait vraiment peine à voir. Livide, tremblotant, le regard dans le vide, il m'évoquait plus un vieillard sur son lit de mort qu'un jeune et puissant guerrier appartenant à l'élite du pays. Et les supplications qu'il m'adressaient étaient tout simplement jouissives. Le doux son de sa voix prononçant un « je t'en supplie » ou un « pitié » sonnait magnifiquement à mes oreilles comblées.

- Prochain arrêt, gare de Sakuramori, annonça le haut parleur.

- Ah, déjà? M'étonnais-je en regardant la pendule.

- Enfin, tu veux dire, marmonna Sting.

Je souris avec pitié en le voyant reprendre son souffle après une si courte phrase.

J'attrapai nos sacs respectifs glissés sous nos sièges et je me levai comme un ressort pour aller observer la vue depuis l'autre côté du wagon. De hautes montagnes s'élevaient de tous les côtés, cernant la ville. Les rails ne pouvaient y accéder. Aussi, nous allions devoir trouver un autre moyen de locomotion. J'avais suggéré d'emprunter un véhicule magique, mais le grognement qu'avais émit Sting à cette idée, m'avait vite fait changer mes plans. Aussi, nous allions devoir nous dégoter un cheval, ou tout autre animal capable de se déplacer aisément dans le sable. Car il y en avait partout, du sable. Je n'étais que rarement venue dans cette région, mais mes quelques visites m'avaient suffit pour comprendre que je n'étais pas faite pour le climat. Une chaleur étouffante la journée, un froid polaire la nuit. Quand j'avais compris que nous allions devoir voyager seuls au milieu de cet enfer, j'avais failli abandonner.

Le train pénétra enfin en gare, et Sting se redressa, frais comme un gardon. C'était injuste de voir à quel point il avait vite reprit des couleurs. Si j'avais adoré le voir faible et suppliant, le Sting qui me pressa pour sortir du train et arpenter la ville, me plut nettement moins. Sous ce soleil de plomb, je n'avais qu'une envie, m'allonger dans un coin et attendre que la fin arrive.

- Bon, ce que je te propose, entama Sting en observant la ville en contrebas de la gare, c'est que tu ailles acheter de quoi manger pour un ou deux jours, pendant que je m'occupe de nous trouver un moyen de déplacement.

- Pardon, mais je ne te fais pas trop confiance pour ça.

Son regard se porta alors sur moi, et il plissa les yeux.

- Pardon, répéta-t-il, mais tu as choisi le premier, je choisi le second.

Résignée, je levai les mains en signe de reddition.

On se sépara après s'être donné rendez-vous à la sortie Sud de la ville, une heure plus tard. Aussi, je ne perdis pas de temps avant d'aller me réfugier dans un supermarché à l'abris des rayons mortels du soleil. Là, je passai un temps fou à remplir mon panier, cherchant des choses pas trop encombrantes mais en même temps assez consistantes pour nourrir un chasseur de dragon. Ces bêtes-là mangeaient deux fois plus qu'un être normalement constitué.

Après avoir rempli deux sacs de provisions, je quittai le magasin pour rejoindre le point de rendez-vous. Je m'appliquai alors à raser les murs, à la recherche d'un peu d'ombre. Comment les gens ici faisaient-ils pour marcher au beau milieu de la rue, en plein soleil, vêtus comme en plein hiver? Pour ma part, j'étais à deux doigts d'arracher mes vêtements et de m'allonger dans un coin ombragé pour mourir en silence.