- Papa, comment est-ce que le monde a été créé ?
Telle est la question que la jeune fille pose à son père, attablé près de cette dernière dans le salon. L'air est frais, voire froid, à l’extérieur. L’hiver a pris ses aises dehors, dénudant les arbres de leurs fruits et de leurs feuilles, recouvrant le sol et les toits d'un épais manteau blanc, et gelant toute forme d'eau qui oserait s'aventurer à l’extérieur.
La jeune fille, aussitôt sa question posée, fixe son père dans les yeux, dans l'espoir qu'il réponde à sa question, si innocente soit-elle. Le soleil est déjà bas dans le ciel, si bas qu'il frôle l'horizon, inondant les visages de nos deux protagonistes d'une forte lumière rouge-orange. Le père pourrait lui expliquer de manière scientifique, en lui parlant du Big Bang, du rassemblement de matière, de l'espace, mais il pressent que ce n’est pas l’explication que souhaite une petite fille d'à peine dix ans. Ce qu'un tel être souhaite correspond plutôt à une réponse imagée, qui fait rêver et qui montre que le monde est un lieu empli de magie.
Le père se lève alors doucement de sa chaise et vient prendre un genre de bocal en verre situé sur le meuble derrière lui, à côté de la télévision. Sur son chemin, il passe par la cuisine et revient dans le champ de vision de sa fille, qui n'avait cessé de le regarder faire, les mains remplies de différents paquets de bonbons. Il s’attable donc à nouveau sous les yeux passionnés, ou intéressés, de sa fille.
- Tu veux savoir comment a été créé le monde ? Je te demanderai alors de ne toucher à aucun de ces bonbons.
- Même pas un seul ? – répond la fille, la mine un peu déçue.
- Pas un seul, c'est mieux pour tes dents. – enchaîne le père, en rigolant.Il ouvre d'un coup sec un paquet de gros bonbons, si gros qu'ils nécessitent plus d’une bouchée pour être avalés. Il en prend une grosse poignée et les insère dans le bocal, tout en expliquant son geste :
- Vois-tu, ma fille, ce que je suis actuellement en train de faire, c'est à l'origine de toutes choses. Les bonbons que je mets à l’intérieur représentent tout ce qui permet d'exister, comme les quatre éléments, aussi mystiques soient-ils.
Sa fille, montrant une tête d’étonnement et d’incompréhension, fit un aller-retour de la tête du père au bocal. Avant que cette dernière ne s'exclame que le monde n'est pas créé de bonbons, le père enchaîne en prenant des chocolats plus petits que les derniers bonbons :- Ces chocolats représentent toutes les choses qui peuplent notre monde, qui nous permettent à tous d’exister et qui jouent un rôle dans le fonctionnement de cette Terre.
- Comme les animaux, par exemple ?
- Exactement, les animaux font partie de l’équilibre de notre monde. Mais tu peux aussi trouver les forêts, les montagnes, les déserts, et tous ces autres environnements qui permettent d'abriter ces animaux que tu aimes tant.
- Mais papa, pourquoi est-ce que tu parles pas des humains ? On est où, dans ton monde ?
- Attends une minute.Le père ouvre le troisième paquet de bonbons, nettement plus petits que les derniers, et les glisse à l’intérieur de son monde en création :
- Waaaaah, ils sont tout petits !
- Petits, oui, mais nombreux.Au fur et à mesure que sa main déverse ces petites billes de confiserie, le regard de la petite fille brille intensément, soit à cause du soleil, soit à cause de son envie irrépressible de déguster une friandise.
- Mais du coup, ils représentent qui, ces bonbons ? Juste nous ?
- Eh bien, c'est nous, mais c'est aussi nos émotions, nos sentiments, notre savoir-faire, notre rôle, et plein d’autres choses.La fille acquiesce alors d'un simple « hm… » et regarde son père fermer les paquets un par un. C'est alors que ce dernier sort quelque chose de sa poche, un simple bonbon encore plus petit que les derniers qu'il avait sortis, et entame son explication :
- Voilà le dernier bonbon que je voulais mettre. Comme tu le vois, il est minuscule, pas vrai ?
- Ah bah ça, je savais même pas si c’était un bonbon, en fait.
- Haha, si, si, c'en est bien un, mais c'est surtout le plus important de tous.
Tandis qu'il parlait, le père avait creusé un petit puits au sein des bonbons où il y dépose son ultime confiserie.- Ce bonbon, qui a tant l'air de t’intriguer, représente quelque chose d'à la fois abstrait et pourtant essentiel pour chacun d'entre nous.
- C'est quoi… ? – demande-t-elle le menton pose sur la table, à regarder désespérément le bocal rempli de bonbons.
- La confiance. Sans confiance, pas de relations entre humains, pas d'entraide entre les êtres vivants. C'est aussi valable pour les animaux, qui ne pourraient pas cohabiter avec les humains. La confiance est à l'origine de tout, c’est pour ça que je l'ai mise au centre de notre monde.
- Hmm… Ça m'a donné faim, tout ça… Je peux pas manger un petit bonbon ?
- Tu voudrais faire s’écrouler le monde, ma puce ? Viens plutôt, on va aller préparer un vrai repas pour tous les deux.La fille quitte alors la table et part dans la cuisine, attendant que son père la rejoigne. Ce dernier ferme hermétiquement le bocal dans lequel ils avaient créé leur monde, le pose au centre de la table et laisse les ultimes rayons du soleil parcourir le verre du récipient.
***
Il fait maintenant nuit noire dehors. L'air est encore plus frais que tout à l'heure, mais elle se sent plus sereine après avoir dégusté son délicieux repas.
Néanmoins, son sommeil ne vient pas, malgré les nombreux retournements qu'elle avait faits dans sa couette. C'est alors qu'elle décide de se lever pour aller marcher un peu dans le salon, dans l'espoir que Morphée se trouve dans un coin de porte. Elle marche lentement pour éviter de réveiller son paternel et redécouvre son salon baigné d'une lumière lunaire. Son regard balaye la pièce dans chaque recoin, comme si elle s’infiltrait dans le foyer d'un autre, mais son regard finit par se poser sur l'objet de ses convoitises… Le bocal rempli de bonbons.La faim l'a prise au ventre, et tout ce que la petite fille souhaite, c’est de la faire partir à l'aide d'un petit bonbon. Elle continue alors à marcher sur la pointe des pieds pour éviter de faire grincer le parquet, passe lentement à côté de la table à laquelle elle se trouvait quelques heures avant, puis atteint le bocal. Elle le saisit de ses deux mains avant de l’ouvrir dans le plus grand des silences.
De sa petite main, elle commence à creuser au sein de leur monde afin d'y trouver son trésor, la sucrerie qui avait piqué sa curiosité, puis finit par l'extraire, la tenant dans sa main.
« Tu voudrais faire s’écrouler le monde, ma puce ? »
L
e bonbon, d'une formidable couleur rose, n’était qu'un pauvre bonbon sans éclat dans la pénombre lunaire. Mais les mots de son père lui reviennent à l'esprit, la faisant souffler du nez, persuadé que son père y avait mis tout son humour.
C'est du moins ce qu'elle pensait avant de l'avaler tout rond, de refermer le bocal et de reposer ce dernier à sa place originelle. La petite fille rejoint alors sa chambre dans le plus grand des silences, contente d'avoir reçu sa petite friandise du soir, et s'endort paisiblement dans son lit douillet.
En Inde, en plein milieu de New Delhi, une ombre grandissante se forme au sol, faisant disparaître un poteau électrique, puis un banc, des escaliers, des humains, avant d'engloutir un immeuble entier.
Ça y est. Ça commence.
Le monde s’écroule.

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Bonbon
ContoCette histoire est un one shot. Un père raconte à sa fille la création du monde de manière imagée, en utilisant les bonbons comme matière première. Chaque élément est important, et aucun ne doit être retiré, sous peine de voir le monde s'écrouler.