Parfois, la vie pouvait se montrer imprévisible. Dès mon plus jeune âge, ce que beaucoup aimait appeler le « destin » me semblait déjà tout tracé. J’étais le futur Roi des Hommes-Oiseaux.
Le kiosque venait d’accueillir de nouveaux massifs, tous plus flamboyants les uns que les autres. La glycine pendait au plafond, et les magnolias avaient recouvert la majorité des rebords de l’immense fontaine de pierre, vide depuis l’achèvement du kiosque. Ruisselaient plutôt des amas de volubilis, et récemment, de superbes clématites roses s'écoulaient le long de l’édifice. Ma préceptrice, qui m’enseignait alors l’écriture, les mathématiques et la philosophie, m’avait convié dans cette même salle, sous un soleil éclatant. Elle s’avança vers moi. J’étais, à cette époque, âgé de huit ans et mesurant un bon mètre vingt-cinq. Derrière elle remuait une forme, cachée dans la grande tunique blanche et dorée de la femme.
–Mon prince, commença la préceptrice, le Roi votre père m’a demandé de vous présenter quelqu’un.
Elle regarda derrière son dos, récupérant l’étrange corps qui se mouvait dans ses jambes.
–Allons Syme, cesse de faire ton timide, fit-elle d’une voix douce.
De derrière sa tunique sortit un jeune garçon, pas plus haut que moi. Il devait bien avoir mon âge, et peut-être même moins. Les yeux bleus clairs, approchant de la couleur de la glace, il me regardait timidement. Ses cheveux argentés brillaient sous les rayons, et basculaient du blanc au gris à chacun de ses mouvements. Il lança un “bonjour” peu audible. Sa voix était indescriptible. D’une douceur que je ne connaissais pas, sa pupille continuait de me fixer avant de disparaître derrière les tissus de sa mère.
–Veuillez l’excuser, mon prince, mais il est peu habitué à voir des personnes qui lui sont inconnues.
Je réajustais mon veston noir, éliminant au passage les petits plis de ma chemise en-dessous. A cette époque, mes ailes n’étaient pas trop volumineuses, et de petits manteaux forts confortables avaient été créés pour les jeunes enfants de mon âge. Je m’approchai, cherchant du regard le garçon. Il portait une chemise blanche, un veston comme le miens, mais de la couleur du grès, ainsi qu’un pantalon anthracite. Un long manteau bleu océan reposait sur ses épaules, entouré d’un complexe de lanières de cuir jaune, tantôt passant autour de ses bras, tantôt se croisant.
–Bonjour, lançais-je avec enthousiasme (il y avait très peu d’enfant pour jouer avec moi, et je finissais souvent par m’amuser seul au milieu des fleurs quand je n’étudiais pas).
Chose étrange que j’ai remarqué en m’approchant de lui : il ne semblait pas avoir de trou dans le dos de ses habits, là où les ailes étaient censées passer. Il m'observait avec un regard apeuré, comme si je m’apprêtais à le dévorer.
–Tu veux jouer avec moi ? lui demandai-je.
Tous le monde le sait, les enfants aiment jouer, surtout à cet âge-là.
Il hocha la tête, et pris la main que je lui tendais, en guise d’invitation. Sa peau un peu froide vint se réchauffer au creux de la mienne, et je l’entrainai vers le centre du kiosque, pour lui montrer les différentes fleurs du massif. Au bout d’un certain temps, lorsqu’il fut acclimaté avec l’environnement, il finit par sourire, et même par rire. Je lui montrai mon matériel de peinture, ma garde-robe, nous visitâmes le palais, et volâmes quelques morceaux de brioche dans les cuisines. A la fin de l’après-midi, sa mère, qui était restée dans le kiosque en lisant un livre, mais qui jetait de temps en temps des brefs coup d'œils lorsque nous étions présents, appela Syme. Ce dernier se dirigea vers la femme, une expression de fierté sur le visage. Puis elle se tourna vers moi, en réajustant le manteau de son fils.
–Le Roi a décidé, commença-t-elle, que Syme deviendrait votre majordome personnel.
Cette annonce me ravit. Il était si gentil, innocent, alors le voir tous les jours me semblait plus que satisfaisant. Puis en passant brièvement mon regard sur le petit garçon, je demandai :
–Il n’a pas d’ailes ?
Le silence dura peut-être une trentaine de secondes. La femme semblait hésitante, mais finit par avouer, comme si elle avait commis une faute grave pendant notre absence.
–Mon prince, vous devez savoir….
Je la regardais, étonné qu’elle me réponde de cette façon.
–Syme est en réalité… un humain, lâcha-t-elle finalement. Nous l’avons retrouvé devant notre porte, personne ne sait par qui,ni comment il a été déposé ici. Alors nous avons décidé de l’adopter. Il a commencé son éducation auprès de Yolan, mais nous avons décidé de l’inscrire à l’école, ajouta-t-elle. Il a besoin d’amis autre que le petit Wyren qui atteint bientôt ses 13 ans. Il lui faut des camarades de son âge.
J’observais mon futur majordome, et lui aussi me scrutait en retour. Il était allé derrière les jambes de sa mère, avec ce même air craintif qu’il avait lors de notre premier contact.
–D’accord, déclarai-je.
C’est vrai, pourquoi devrais-je m’attarder sur ce genre de détails ? Voilà des siècles que notre cité vole, et j’ai toujours souhaité la faire redescendre. Ce conflit n’avait que trop duré. Alors je souris à Syme, pour le rassurer, et il souris lui aussi doucement. Dans ses yeux, je décelais quelques étincelles qui trahissaient son enthousiasme.
Quelques années plus tard, l’année de mes douze ans plus exactement, il devint officiellement mon majordome. Et le kiosque continuait d’être notre terrain de jeu. Un jour, je lui ai appris les échecs. Son rôle le faisait courir un peu dans tous les sens, consacrant de moins en moins de temps pour ses loisirs personnels. Alors, je lui ai demandé de s’arrêter un moment, et comme ma leçon de science avait été annulée, je l’ai entraîné dans l’édifice, referma les grandes portes, et installa deux chaises et une table ainsi que l’échiquier.
–Tout d’abord, tu places tes pions comme ça, fis-je en lui montrant la disposition.
–Mais, n’avez-vous pas des choses plus urgentes à faire que de m’apprendre les échecs ? me demanda-t-il, un peu affolé.
Je le foudroyai du regard. J’avais horreur quand il me vouvoyait. Je me sentais supérieur à lui, et c’était quelque chose qui me déplaisait au plus au point. Dans un soupir, j’avançai un pion.
–S’il te plaît, Syme, quand nous sommes seuls, tutoie-moi, lui dis-je.
–Mais, vous êtes mon maître… il est normal que je vous vouvoie, répliqua-t-il.
–Oui mais je n’aime pas ça.
Il me fixa, comme surpris de ma demande. Je pense qu’il n’arrivait pas à comprendre pourquoi cela me dérangeait autant. On avait dû lui répéter maintes fois de me vouvoyer, mais j’ai décidé de faire exception. Je suis le maître, après tout. Si je veux que mon majordome me tutoie, alors ce sera ainsi. Voilà quatre ans que l’on se connaissait, nos liens étaient bien plus qu’une relation entre majordome et maître. Enfin, c’est ce que je percevais.
Je déplaçai mon cavalier, en lui indiquant la raison de mon action.
–Aux échecs, il vaut mieux occuper la zone centrale du plateau, dis-je malicieusement.
Je jetai un coup d'œil à mon adversaire, qui observait minutieusement chaque déplacements. Ses yeux de glace semblaient contenir un mini-monde, comme si une immense banquise existait dedans. Je ne saurais pas décrire ce que j’ai vu. Ses yeux pouvaient exprimer de l’admiration, de la crainte, ou même de l’incompréhension suite aux explications rapides du jeu. Mais jamais je ne me lassais de les scruter. Les détails de son iris, et la profondeur de sa pupille.
Après lui avoir expliqué les bases, et quelques tactiques, nous commençâmes à jouer.
Je gagnai la première partie, lui la deuxième, et je le laissais goûter à la victoire pour la belle. Il me regardait, tout fier de son progrès. Puis on m’appela pour ma leçon de vol. C’était bien le seul moment où je n’avais pas envie que Syme m’accompagne, car je me sentais coupable de la naissance potentielle d’une envie d’avoir des ailes chez lui. Il était né sans et voir tout un monde voleter et battre des ailes si régulièrement lui avait sûrement rappelé ce dont il ne serait jamais capable. Je me demandais aussi comment il faisait pour affronter le monde qui ne lui laissait même pas de place parmi les autres. Nous avions rangé le plateau, puis nous avons déambulé dans les couloirs, commentant chaque peintures affichées sur les murs rouges.
Puis les leçons reprirent, en commençant par les règles de bien-vivre. Pendant ce temps-là, Syme ne m’accompagnait pas, mais bénéficiait lui aussi d’un enseignement, dans une petite école cependant offrant une éducation de qualité. Il n’était pas privilégié, il était dans une classe avec un bon niveau, avec des enfants étrangers au palais. Syme mangeait évidemment avec ses parents, dans leur logements un peu plus à l'écart du palais. Ils devaient être proches de la famille royale.
Étrangement, quand Syme n’était pas là, je sentais une sorte de manque en moi. Comme si j’étais un récipient qu’on avait subitement vidé. Quand Syme n’était pas là, tout me semblait moins beau./\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\/\
Et voilà le premier chapitre du deuxième tome de The Last Flight. J'espère que le deuxième tome de l'oeuvre de Aseal_JFM vous plaira ^^.
Bonne lecture.
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The Last Flight : Tale of the jade wing
ParanormalAlors qu'il n'est qu'un enfant, Karan est prédestiné à devenir le prince héritier de la Cité flottante, un des trois grands royaumes des Hommes-Oiseaux. Rêvant de faire redescendre ce petit monde, il finit par devenir un garçon très cultivé. Mais un...