Chapitre 4

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J'oscillai maladroitement et mes ailes n’arrivaient plus à se positionner comme avant. Les encadrants autour de moi lâchèrent des “mon prince !” affolés. Après un effort pour lutter contre le vent que je sentais m’emporter, j’arrivais à me redresser et rectifier le tir. Au bout d’une dizaine de minute, je volais librement dans l’air, réussissant haut la main le défi de la cérémonie. J’entendais en amont les clameurs de la cité, me félicitant de cette épreuve passée. Je poussais l’air frais pour me hisser au niveau du kiosque, et vis les visages éclatant de joie de mes proches. Mon père, ma mère, une tante et un cousin. Et Syme. Il m'observait, des étincelles plein les yeux, comme un enfant devant une étoile filante. Je vins me poser sur les dalles chauffées par le soleil, dans une grâce qui m’était alors inconnue. J’entendais au loin les clameurs et applaudissements, me félicitant de cette avancée. J’avais franchi une des premières étapes pour devenir Roi.

Après m’être rhabillé un peu plus chaudement, Syme vint me voir, l’excitation dans les veines prêt à me sauter dessus.

–Mon prince, vous étiez génial ! s’exclama-t-il. Cette grâce, cette vitesse ! Et quel plumage vous avez.

Le petit humain était rempli d’un enthousiasme que je lui ne connaissais pas. Mais cela me faisait plaisir à voir. Alors je lui répondis avec un sourire.

–Je te remercie, Syme.

Puis je repensais à cette inquiétude que j’avais sur son statut. J'espérais qu’il ne m’ait pas complimenté pour dissimuler une quelconque jalousie. Je l’observais, de nouveau droit, venant de réajuster son veston afin de reprendre ses fonctions.

–Viens te présenter aux autres, mon fils, fit mon père, ému.

Accompagnés de ma mère, nous traversâmes le carré de couloir, et débarquâmes sur la terrasse commune, reliant la chambre des parents à la mienne. Arrivés à l’avancée qui donnait sur la place principale, située plus bas, nous nous présentâmes au reste des spectateurs. La foule hurlait joyeusement, des ailes dressées en signe de joie. Je les saluais tous, un immense sourire sur les lèvres. Ce sentiment de fierté était si agréable. Voyant Syme à l’arrière, puis ma culpabilité m'envahit si bien qu’elle faillit prendre le dessus sur mon euphorie, j’invitais le jeune garçon à me rejoindre. Il hésita au début, mais s’avança finalement, pour venir à mes côtés. C’était comme s’il se présentait au monde entier. Son émotion devait être bien plus intense que la mienne, mais juste cela me satisfaisait. Il était dressé devant un peuple ailé, lui, le seul humain. Et il était fier.

J’attrapais une Glace, afin de transmettre ma voix aux personnes juste en dessous de nous.

–Voilà, à vous tous ! clamais-je. Ce vol, c’est celui qui permettra de descendre sur la terre.

La foule s’était légèrement calmée, suffisamment pour m’entendre.

–Vous le savez tous, mais je promets que je ferais descendre notre Cité, pour vivre en paix avec les humains. Voilà mon projet ! terminais-je le poing levé au ciel.

Nous finîmes de descendre dans la rue, saluer le peuple. Mon père nous a guidé vers l' escalier qui permettait d’accéder à la grande cour, puis nous avons débarqué sur la place, après une longue traversée de couloirs miroitants, dont les fenêtres baignaient les allées de lumière. La foule s’exclamait de joie, clamant la bravoure de son prince héritier. Des feux scintillaient au-dessus de la tête des gens, des torches, des étoffes colorées et des mains applaudissant. Mon regard n’arrêtait pas de bouger d’un endroit à un autre, distrait par tout ce qui se mouvait. Voir une telle effervescence était si réjouissant. Je sentis Syme attraper un pan de ma veste de sa petite main, me suppliant de rester près de lui. Comparé à moi, il n’avait peut-être pas l’habitude de la foule. Je lui pris la main pour le rassurer, puis je saluais la population qui continuait à s’agiter de cet élan de joie. Une dame, aux plumes bleu nuit et aux yeux d’un vert pur, s’avança vers moi, jusqu’à ce que la garde n’abaisse leurs hallebardes pour l'empêcher d’avancer plus près.

–Mon prince ! Vous avez été fantastique, encore félicitation ! s’écria-t-elle.
–C'est pour votre soutien que je vous félicite, répondis-je en souriant. Je serai un bon roi, je le promets.

Elle retourna se mêler à la foule, un immense sourire aux lèvres. Satisfait de mon échange, je continuais à défiler dans la foule, Syme toujours accroché à ma main.

–Et bien, mon cher majordome, ne te sens-tu point à tes aises ici ? demandais-je.
–J’avoue que je ne suis pas habitué, répondit-il légèrement tremblant. Mon prince, c’est vous qui est à l’honneur, pas moi. Je ne suis en aucun cas obligé de me sentir présentable, ajouta-t-il en baissant les yeux.

Voilà son principal défaut. Il manquait cruellement de confiance en lui. Alors je le rapprochais de moi en tirant un peu plus son bras, puis lui fit :

–Personne ne te fera de mal, tout le monde a oublié que tu étais un humain. Profites-en !

Il semblait peu certain, mais finit par regarder le monde en fête qui nous entourait. Son visage s’illuminait, quand il observait cette joie autour de lui. C’était un visage de la plus grande des beautés.
Un homme cette fois-ci s’approcha de moi, souriant. Les gardes, méfiants, baissèrent leurs armes, mais je les arrêtais d’un geste de la main.

–C’est bon, fis-je avec sérénité. Laissez-le, je me dois capable d’écouter mon peuple et d’être proche de lui.

Les deux hommes qui l'entouraient obéirent et relevèrent leurs hallebardes. Mon père, un peu plus en retrait, m’observait, le visage fier. Fier de voir son fils prêt à lui succéder. Il laissa les deux gardes ôter leur barrière, et discuta avec ma mère.

–Mon prince, commença l’homme dans sa fine barbe brune. Il portait deux ailes d’un gris poivré, agrémenté d’un joli jaune sulfureux. Je vous félicite pour cet envol, quelle aisance et quelle habileté ! me complimenta-t-il.

Il s’approcha de moi, comme sur le point de me dire un secret.

–Mais ne pensez pas que tout le monde partage vos idéaux, murmura-t-il avec une voix rauque.

C’est en entendant ses mots que je sentis mon corps se figer sur place, mes membres se tétaniser instantanément. Mes jambes n'arrivaient plus à supporter mon petit corps, et je m’écroulais, les genoux à terre.

–Mon prince ! s’exclama Syme, paniqué.

Rien ne sortait de ma bouche. J’observais la main de l’homme pour y découvrir une dague argentée, recouverte d’un liquide qui me semblait familier. Carmin, vermillon sous le soleil, il s’écoulait en petite flaque sur les pavés de la cour. Puis en baissant les yeux, je découvrais qu’il s’étendait en une tache rouge sur mon veston bleu. La douleur n’était pas aussi violente que je le pensais, peut-être dû à un effet psychologiquement anesthésiant. Syme me criait des mots, mais je n’entendais plus grand chose. La seule parole que j’entendis fut celle de l'homme, me regardant de haut, alors que les deux gardes s’apprêtaient à se jeter sur lui.

–Vous rêvez beaucoup trop, mon prince.

Puis mon regard devint flou, comme si une brume avait envahi l’endroit. Le paysage tournait, la musique diminuait, la foule bougeait en même temps trop, et pourtant de moins en moins. Je portais la main à mon ventre avant de m’écrouler à terre. Tout était trop. Trop fort. Trop lumineux. Trop chaud. Trop froid.
Et c’est dans un mélange de cris et d’affolement que je fermais doucement les yeux.

The Last Flight : Tale of the jade wingOù les histoires vivent. Découvrez maintenant