ZERO

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« La douleur me harcèle, et je dois penser pour m'en distraire.
Je suis, donc je pense. Sans la douleur, je n'étais pas. »
cocteau


Ses cheveux lâchés bruns, si ce n'était noirâtres, tombaient pitoyablement pour venir s'échouer sur le lit surélevant son corps. Sa peau hâlée se recouvrait d'une couleur pourpre, d'un liquide au goût métallique et à l'allure sanglante, dérangeante. Il la trouvait malgré tout belle et si parfois sa main venait caresser sa joue avec douceur, cette dernière se faisait rapidement balayer lorsque le visage de celle qu'il avait tant aimée s'effaçait au profit de celui d'une autre. La terreur dans le regard de la misérable l'irritait autant qu'elle lui faisait mal. Ce regard lui rappelait la vérité tant affreuse que douloureuse et ses sanglots se firent plus forts. Il n'entendait plus ceux de la belle car il les avaient fait s'arrêter. Sa langue gisait quelque part sur le sol froid tandis que la bordure de sa bouche était cousu atrocement, laissant apparaître dans sa gueule maintenue ouverte les pétales écarlates d'une rose sèche et meurtrie, mourante. Sa tête se secouait vivement tandis qu'il essayait de nouveau de chasser le visage de sa bien-aimée qui tentait de remplacer celui de l'imposture, l'illusion terrible qu'il décorait de toute part. Bientôt, ce fut ses yeux qui furent décorés, ses orbites furent vidés de leurs bijoux et la sécheresse florale vint y prendre place. Si parfois son esprit vacillait, ses fleurs fanées lui rappelaient que sa bien aimée n'était pas celle victime de ses démons intérieurs. Non, c'était pour elle qu'il faisait ça. Ses yeux sombres à elle s'étaient déjà fermés il y a bien longtemps et les fleurs qui la représentaient, elles, étaient vivantes et singulières. Jolies et harmonieuses, Opale méritait les fleurs les plus attentionnées.

Bientôt les vêtements furent arrachés et jetés rageusement plus loin. Son odorat et son audition furent étouffés à jamais au même titre que son rectum et sa cramouille. Ses orifices étaient désormais bouchés et le garçon l'observait avec la plus grande des attentions. S'il s'excusait et sanglotait, une part de lui ne pouvait s'empêcher d'être satisfait et soulagé. Son prénom, il l'avait oublié. Il n'avait su la pardonner pour son crime le plus terrible, c'est pour cela qu'il la châtiait. L'imposture lui avait été insupportable et s'il avait accepté de se laisser bercer par ses promesses illusoires les premiers instants, voilà qu'elle ne pouvait plus lui en faire. Il aurait voulu l'aimer autant qu'il avait pu l'aimer elle mais lorsque son regard s'était posé un peu plus intensément sur sa copie, lorsque ses mains avaient commencé à arpenter les courbes de son corps qu'il croyait céleste, lorsque ses sourcils s'étaient froncés et que les râles et halètements qu'il avait entendu ne lui avaient pas semblés familiers, alors il avait compris. Kirsten avait été son prénom, il s'en souvenait maintenant. Ses boutons de chairs ne pourraient plus durcir car condamnés à éclore tandis que son âme tourmentée avait fini par trouver le repos. S'il s'était senti désolé pour elle aux premiers instants, il se sentait désormais compatissant. Kirsten avait réussi à rencontrer le sommeil éternel bien que tourmenté. Lui n'arriverait jamais à le trouver, bien trop lâche pour le provoquer. Gabriel rêvait de pouvoir de nouveau l'étreindre, bien plus qu'il ne rêvait de s'éteindre. Parfois il revoyait sa silhouette s'effacer comme un mirage, revoyait ses boucles sombres et son teint hâlé. Ses mains fines et courtes, ses bottes un peu trop imposantes pour lui et le collier qu'elle portait toujours autour de son cou, obsidienne noire à la couleur de ses yeux. Bracelet clouté logé à son poignet droit, crâne osseux en son centre. Puis il revoyait le sang et entendait les cris. Il visualisait son crâne explosé et meurtri, son collier détaché et son bracelet égaré. Ses paupières ouvertes et le bus retourné. Il visualisait encore la rose lui étant destinée.

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⏰ Dernière mise à jour : May 02, 2021 ⏰

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La Fille du BusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant