Le soleil était haut dans le ciel, la radio annonçait un ciel bleu impassible. Aucun signe de vie aux alentours, Amaury était seul dans l'allée. Les rayons perçants et brûlants de la sphère dorée ne laissaient pas le retraité indifférent. L'horizon était brouillé et ses pas tremblotants. L'allée était bordée de buissons taillés géométriquement et le sol couvert de petites pierres blanches. Une ombre tranchait le chemin. En relevant sa tête la lumière inonda son esprit, ses fines paires lunettes dorées aux reflets violets ne pouvaient empêcher l'éclat du bâtiment. Un immense murex en verre se dressait devant lui. C'était la Néopaideia.
...
Amaury Macreau était retraité depuis peu et neurologue en soin palliatif de son passé. Il n'avait jamais fondé de famille et n'y avait certainement même pas songé, trop pris par son travail et la recherche. Il était le chef de service d'un nouvel hôpital de la région. Il n'avait pas de moitié non plus et se contentait sagement de conquêtes éparses. Sa vie n'était dédié qu'à ses patients, il y consacrait ses nuits et week-ends. Il ne possédait pas réellement d'autre loisir, un peu de botanique négligemment et de cuisine par nécessité, sa réelle fièvre se trouvait ici dans les couloirs et là-bas, loin dans les chambres où s'éteignaient ses bien-aimé patients.
C'était un samedi de garde, les infirmiers de nuits étaient agités. Amaury guettait leur incessant aller-retour dans les couloirs depuis son bureau, il prenait un café. C'est en allant répondre à l'appel de la chambre 123 que son avenir allait prendre un sombre virage.
– Bonsoir Anaëlle, vous allez bien ? Pourquoi autant d'acharnement sur le bouton d'appel d'urgence ?
– Docteur ... C'est fini. Endormissez-moi !
– Qu'est ce qui est fini ? Bah alors je comprend pas ce matin même vous étiez assez enjoué à l'idée de vivre. Racontez-moi ce qui vous tracasse ?
– Vous n'avez pas eu échos des nouvelles ?
– De quoi vous parlez ? Vous voulez voir le psychiatre de garde ?
– Docteur ... Le parti E a gagné le pouvoir.
– Oh Anaëlle c'est impossible. Vous pouvez vous rendormir le sourire aux lèvres, la fin du monde c'est pas pour aujourd'hui, personne n'y crois à cette histoire de lapins révolutionnaires du web.
Aurore une doyenne du service entra affolé dans la chambre. Aurore était la meilleure amie et la maîtresse préférée d'Amaury. L'effroi qui cernait son visage était sans équivoque. Sa présence confirmait ses doutes. Amaury comprit de suite la gravité et l'horreur dans laquelle ils venaient de plonger. Il s'en alla précipitamment se saisir de la télécommande et du poste télé de la pièce de repos. Il avait cessé de réfléchir et voulait juste croire à une mauvaise plaisanterie. Il appuya déterminé sur la chaîne d'info national. Une étrange musique de marchand de glace ambulant s'empara de la pièce. Les notes aigües et enfantines ne cessaient de résonner de plus en plus fort au plus profond de sa boîte crânienne. Perdu entre la peur et la surprise, on pouvait observer sur l'écran des bambins et des adolescents rire et se moquer des téléspectateurs. Une voix claire et robotique de femme disait continuellement « Le parti E, le parti des Enfants est désormais au pouvoir. Bienvenue. ». L'écran s'éteignit. Amaury venait d'enfoncer la touche off, ils avaient gagné.
En seulement quelques mois d'étranges groupes et rassemblements faisait surface sur le web et devant les préfectures. Personne ne se doutait et ne s'affolait de ces extrémistes par lassitudes d'une époque où la violence était banal. Rien ne laissait prédire un instant que ces mêmes groupes allaient en une semaine changer le monde. Une sourde et muette révolution avait en réalité prit place.