Bleu comme le bonheur

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Bleu, voici la dernière chose dont je me rappelle avant de basculer dans un tout autre monde. A ce moment précis, je tombai sans connaître véritablement la raison de ma chute. J'avais peur tout en riant, j'étais heureuse en souffrant, j'avais l'impression de pouvoir attraper la lune, de pouvoir escalader l'Everest, de pouvoir réaliser tous mes rêves les plus fous. J'avais aussi l'impression qu'on m'arrachait les membres, de pleurer toutes les larmes de mon corps ou encore même d'être la dernière survivante sur Terre, d'être seule. Puis rien. La vitesse de ma chute ralentit petit à petit puis s'arrêta pour laisser place à un silence indéfinissable.

Je ne savais pas si cette chute avait duré quelques secondes ou bien des siècles entiers. Après avoir longuement songé au lieu dans lequel je pouvais avoir atterri, je pris le risque d'entrouvrir mes yeux. Je n'étais pas allongée sur le sol comme je l'espérais, mais en suspension dans le ciel. Je hurlai de terreur que ce phénomène ne soit éphémère mais j'étais bel et bien accrochée aux nuages. Je fixai cet étrange lieu de toute mon attention et fus frappée par la beauté de l'univers qui m'entourait. C'était un magnifique tableau aux dégradés de bleus, une nappe allant du bleu roi au bleu ciel, avec des touches de bleu indigo, elle s'étalait à perte de vue, parsemée de légers morceaux de coton. Je n'étais pas tombée, je m'étais envolée. Comme si la gravité s'était inversée. C'est alors qu'un nuage sombre effaça toutes mes plus belles pensées. L'épouvante me gagnait, tout mon être se révulsait. Il s'approchait de moi de plus en plus vite jusqu'à ce qu'il m'engloutisse complètement. A l'intérieur de celui-ci, je découvris ma chambre avec mon armoire, mon bureau et mon lit vers lequel je me dirigeai. Exténuée, je m'allongeai et m'endormis.

Un rayon de soleil s'infiltra par la fenêtre de ma chambre, et me força à me réveiller. Il faisait chaud, le soleil était déjà haut dans le ciel ; il devait être aux alentours de midi, heure à laquelle j'étais censée être habillée depuis longtemps et avoir acheté le pain. Et pourtant je ne pressai pas, je m'habillai lentement avant de partir pour la boulangerie. En entrant dans la boutique, je me rendis compte que quelque chose ne tournait pas rond. Depuis que j'étais sortie de chez moi, chaque personne avait le même air, remplie de tristesse, ou plutôt de vide. Elles marchaient droit devant elles, le dos courbé, les mains croisées, sans rien voir au dehors, comme autant de poètes tristes. C'était comme si elles n'arrivaient pas à ouvrir leurs yeux et même leur cœur. Des ombres. Des ombres privées de leur âme. Je ne souriais plus, je n'y arrivais plus. Je m'efforçais de trouver le moyen de retrouver mon sourire ou de me faire ressentir autre chose que du vide. Depuis mon réveil, j'éprouvais une sensation étrange, je n'étais plus tout à fait la même personne. Je devenais moi aussi une ombre...

La voix criarde de la boulangère impatiente me fit sortir de mes pensées envahissantes. J'en avais presque oublié que j'étais dans la boutique. Je voulus répondre aussitôt mais les mots se bousculèrent dans ma bouche. Elle répéta une deuxième fois, plus énervée, puis je sortis avec la baguette à la main quelques secondes plus tard.

Je ne voulais pas rentrer, j'avais trop peur de découvrir une nouvelle chose d'anormale. Je m'assis donc sur un banc dans la rue pour observer cet étrange monde qui n'était pas le mien. Ce monde n'avait aucun sens, toutes ces ombres étaient égoïstes, malheureuses et ignorantes, je n'arrivais même plus à les voir comme des êtres humains. Chaque seconde vécue dans cet univers paraissait tellement longue. J'avais l'impression d'être assise sur ce banc depuis des heures tellement ce que je voyais m'accablais de tristesse. En face de moi se dressaient d'immenses usines noires, de la pluie dégoulinait des trottoirs sales, des portes et des fenêtres claquaient, les enfants ne riaient pas, n'esquissaient pas même un petit sourire. Des lampadaires éclairaient des flaques d'eaux pleines de boue dans lesquelles les ombres marchaient. Les feuilles des arbres tombaient et les ombres les piétinaient ensuite. Puis tous ces piétineurs s'entassaient dans des magasins clignotants vendant des boîtes de conserves. Je me rendis compte à quel point un monde sans âme n'a pas de sens. Mon monde à moi ne ressemblait pas à cela. Il était beau et heureux. Mon monde, lui, avait une âme. Mon monde avait un sens. Et j'avais mis quatorze ans à m'en rendre compte. Je n'avais jamais fait attention aux détails qui me faisaient sourire. Les arbres agitant leurs fleurs en été, l'océan bleu azur qui murmure dans la langue des vagues, les nuages se déplaçant comme s'il nous suivaient et le soleil qui nous sourit tous les jours. C'était un monde où chaque « merci » pouvait redonner goût à la vie. Je commençais à ouvrir les yeux sur tout ce que je n'avais pas vu, sur tout ce que j'avais oublié de voir. Je voulais tout recommencer. Tout cela nous pourrions le perdre et finir par vivre comme des ombres. Mais moi je sais que je lutterai, que je trouverai toujours un sens à ma vie et que j'essayerai de redonner le sourire à chacun. Je me le promets.

A cette seconde, un bruit strident retentit. Le sol trembla. Les tours noires se coupèrent en deux. Les ombres piétineuses criaient, les lampadaires clignotaient, si vite qu'on ne savait plus s'ils étaient éteints ou allumés. L'immeuble face à mon banc bascula. Il tomba comme au ralenti, aspira une voiture puis un arbre et ensuite un magasin tout entier. Derrière ce magasin il y avait mon banc.

C'est à ce moment-là que je me rappelai ce bleu si énigmatique. J'atterris de nouveau dans ce ciel mais cette fois-ci ce fut un nuage d'un bleu très pâle qui s'approcha de moi, et dans lequel je m'endormis.

Un rayon de soleil s'infiltra par la fenêtre de ma chambre, ce qui me força à me réveiller mais cette fois-ci, il était neuf heures. Je courus jusqu'au perron de ma maison puis m'arrêtai net. Je savais que ce monde retrouvé était bien le mien. J'admirai les arbres et leurs fleurs, j'écoutai l'océan, je fixai les nuages et je rendis mon sourire au soleil. Je n'avais jamais été aussi heureuse d'observer le ciel bleu.

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⏰ Last updated: May 26, 2021 ⏰

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