Les jours de danse, j'ai toujours du mal à travailler au collège, parce que je danse déjà dans ma tête. Aujourd'hui, je suis encore plus distraite. Si Papa "oublie" de payer, je me sentirai vraiment mal. La prof est gentille, mais.. La sonnerie de 16h30 me libère enfin ! Je ramasse mes affaires. Vite ! Je décroche ma doudoune de la patère. Vite, vite ! Je dévale les escalier. Vite, vite, vite !
À 17 heures, je dois être à la barre.
Et, déjà, l'envie de danser me fourmille dans les jambes. Je traverse la cour au galop ; l'école se trouve à quelques rues d'ici. Tout près. Mais j'ai toujours peur d'être en retard. Je cours. -Luna-a-a-a ! Cette voix ! Je me retourne d'un bloc. Une fille brune, alourdie par son sac à dos, slalome les passants. Je lui réponds à tue-tête : -Eunjung-g-g-g ! Je cours vers elle. C'est ma meilleure amie -bien qu'on n'aille pas au même collège. Une danseuse. Bien sûr. Je ne pourrais pas être amie avec une fille qui ne danse pas. De quoi je lui parlerais ? -Ça va ? Bises.
-Ça va ! La course a rougi ses joues blanches ; ça la rend encore plus jolie. Eunjung Lee a un visage très régulier avec des yeux d'encre et des sourcils très noirs, dessinés comme des ailes d'oiseau. Je l'admire.Et on repart. En passant devant les miroirs des magasins, on s'y reflète une seconde. Droites comme des I et coiffées pareil, je trouve qu'on ressemble à deux sœur. -J'ai des nouvelles pointes, m'annonce-t-elle. Des chaussons que ma marraine m'a envoyés de Séoul. -Génial ! Mais j'ajoute avec un peu d'envie : -Tu as toujours des trucs super. Eunjung proteste : -Attends de les voir, mes chaussons, ils sont durs comme du bois. Un vrai supplice chinois ! J'éclate de rire. On tourne au coin de la rue. Le cours se trouve à deux pas, au rez-de-chaussée d'un immeuble moderne, dans une ancienne boutique. Des stores masquent la vitrine et, sur la porte de verre, une plaque autocollante en plastique annonce : Na Yang de l'Opéra de Paris L'Opéra de Paris ! Chaque fois, ces mots m'impressionnent. Même si Na Yang n'a jamais été étoile, paraît-il. Des mauvaises langues insinuent qu'elle n'a jamais, de sa vie, posé le pied sur la scène du palais Garnier¹ , qu'elle a juste été "petit rat" à l'École de Danse. N'empêche ! Elle a droit à ce titre : de l'Opéra de Paris ! Il brille comme une couronne. Est-ce qu'un jour... moi aussi ? On entre. On se trouve de plain-pied dans le studio, parmi un bataillon de fillettes qui sautillent. Le cours des petites n'est pas encore terminé. Na Yang -une grande femme en jogging mauve- leur fait faire des changements de pied : sa voix couvre la musique qui grésille un peu : -Les pointes bien tendues ! Le plancher résonne sous leurs sauts désordonnés. Entassées sur un banc, à droite, près du miroir, leurs mères qui assistent au cours les boivent des yeux. Eunjung et moi, on se faufile le long du mur en direction du vestiaire. Je n'ose pas regarder du côté de Na. Si jamais elle me saute dessus : "Tu as pensé au chèque, Luna ?". J'en ai le cœur serré à double tour. Je dis bonjour mécaniquement aux 4 ou 5 filles qui se déshabillent déjà entre les porte-manteaux et les chaises dépareillées. Eunjung s'assoit pour déballer ses affaires. -Regarde... Ses nouvelles pointes ! Elle passe les mains dedans pour me les faire admirer. Le satin rose miroite sous le néon du plafond. Et elle s'amuse à les faire danser en l'air. Leurs rubans s'envolent. Je soupire : -Qu'est-ce qu'elles sont belles.. Les filles y jettent un coup d'œil.
-Tu va faire la barre² avec ?
-Non, je les mettrai pour le milieu³. Elle les range avec soin. Moi, j'enfile mes chaussons : des vieilleries retapées avec du l'albuplast. -Quand même, Luna, remarque Safiya, tu es vachement frimeuse ! Ça alors ! Je la regarde avec des yeux ronds. Elle explique : -Tout le monde sait que ça fait "professionnelle" de porter des chaussons abîmés. Une seconde, je reste sidérée. Pour moi, mes chaussons font surtout la "fille-élevée-par-un-papa-chômeur..." Mais je préfère la version de Safiya, même si je dois avoir l'air frimeuse.
J'attrape la balle au bond : -Je ne vois pas où est le mal d'avoir l'air "professionnelle" ! Un jour, je le deviendrai, figure-toi !
-Tiens ? s'étonne Marion, une rondouillarde boudinée dans sa tunique, tu veux faire danseuse, toi ? (NDA : Je tiens à précisée que je n'ai rien contre les personnes avec du poids en plus donc, pas de haine merci, ce n'est qu'une histoire fictive et je veux offusquer personne)
-Évidemment ! Pourquoi je serai là, sinon ? -Ben, pour t'amuser.. comme moi ! Eunjung lui jette un regard noir : -Idiote... dit-elle tout bas. Elle a raison. Comme si on dansait juste pour s'amuser ! Les choses sont beaucoup plus compliquées. Eunjung et moi, on s'amuse en dansant, bien sûr, mais on ne danse pas pour s'amuser. Nuance ! Et on échange un coup d'œil complice. Cette malheureuse Marion ! elle dansera toujours pour s'amuser, sûr et certain. Entre nous, on la surnomme "Marion-Polochon". C'est dire.. ! -Alors... tu te vois étoile, Luna ? s'informe Ila. Je pique un fard. Oui. C'est mon rêve. Mais je n'aime pas qu'il soit dévoilé ainsi, bêtement. -Étoile.. tu parles ! Il faut y arriver. Étoile, c'est comme gagner a la loterie. On a une chance.. mettons.. sur 1 000... enfin sur 999 ! Depuis que j'ai enfilé mes premier chaussons, je le sais. N'empêche ! J'y crois. J'espère. Et si je fait semblant d'être réticente, c'est pour conjurer le sort. Machinalement, j'effleure le médaillon. À cet instant, une ribambelle de petites déferle dans le vestiaire. Par-dessus leur brouhaha, la voix de Na résonne, un peu sèche : -À vous, les grandes ! On ramasse nos affaires, on se précipite, on se bouscule pour sortir du vestiaire.. J'en oublie mon histoire de chèque. Je prends ma place en tête de barre. Na annonce : -Deux demi-pliés, un grand-plié.. dans toute les positions ! J'ouvre les pieds en première, en essayant de me "placer" dans le bon axe de la danse classique : ventre serré, dos tendu, cou allongé, jambes "en dehors". Na appuis sur le bouton de lecteur de cassettes. Une musique grêle s'en échappe : les accords. Les bras s'ouvrent, gracieux, les têtes ce tournent légèrement dans la direction de la main. Je me dis qu'à la même minute, dans le monde entier, des milliers de futures danseuses classiques font exactement le même geste. C'est fou, quand on y pense. Dire que la danse est la même partout ! La danse est universelle. et, déjà, sa magie me court sur la peau en frissons ténus.
"Maman, je vais danser pour toi." La danse, c'était notre "truc" nous. Notre secret. Notre projet. Notre rêve. Elle nous relie encore l'une à l'autre comme une chaîne d'or que rien, ni personne, ne brisera jamais. Sans la danse, je n'aurais jamais pu supporter d'être privée de ma mère. Et, dès que je danse, je suis tout près d'elle..1 : Palais Garnier ou Opéra de Paris, construit par l'architecte Charles Garnier (1825-1898) sous le règne de Napoléon III. Seul théâtre d'opéra jusqu'à la construction récente de l'opéra Bastille.
2 : Barre : exercices effectués en s'appuyant d'une main à une barre horizontal.
3 : Milieu : exercices effectués au centre du studio, sans l'appui de la barre.--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------
VOUS LISEZ
Dance ! Luna, graine d'étoile // JeonGabyUwU
RandomLuna aime la dance plus que tout ! En souvenir de sa mère, elle a décidé de devenir danseuse. Mais son père ne l'entend pas de cette oreille : il n'a pas les moyen de payer l'école Arai dont elle rêve. Tant pis ! Luna passe le concours d'entrée quan...