L'aigle et la colombe (1ère nouvelle)

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Il faut le dire, M. Édouard Jocaster était un homme respectable, et à n'envier que sur les principes moraux qu'il se tenait, dans un cadre de vie bien fermé et rempli de distance avec tout écart et de profonde sensibilité. C'était un homme droit, d'un sérieux à déjouer les plus intelligents et d'une froideur qu'on peut appliquer aux règles qu'il se tenait. Il n'était pas vieux, mais il sortait de l'âge où les plaisirs de la chair deviennent des principes fondamentaux. Il n'aimait pas la compagnie des dames, jugeant qu'elles étaient toutes trop puériles et inconscientes pour pouvoir retenir son attention. C''était un homme qui ignorait la compassion, l'amour et le plaisir. Et s'il lui arrivait de boire un bon Bordeaux, ce n'était que pour s'assurer qu'il était humain, en dépit de toutes ses pensées l'incitant à garder la tête froide et l'esprit droit. Car tout homme a ses faiblesses et Édouard Jocaster ne faisait pas exception à la règle. Il lui est arrivé, étant plus jeune, de gouter à des plaisirs que bien après il jugeait excentriques ou même déshonorants.

On pouvait le qualifier d'homme beau, de belle tournure même, mais son regard aussi noir que la nuit ne laissait présager aucune lumière et cela le rendait austère et glacial. Il y en a eu, des femmes désirant casser la glace et voulant se laisser désirer par lui, mais rien n'avait de suite, et elles ne pouvaient que le regarder, de loin, car il était comme un bloc de glace sentant le feu sur sa nuque. Lasses, elles finissaient par se désintéresser et par aller tenter leur chance ailleurs. M. Jocaster se félicitait alors de ne pas avoir cédé au désir et de ne pas s'être laissé aller à la frivolité et au péché.

Il était riche, et il attribuait cela au travail et à la droiture qu'il s'était appliqué. C''était peut-être pour cette raison qu'il était invité dans les plus beaux salons de Paris, offres qu'il n'acceptait que très rarement.

Ce soir était un où il s'était autorisé à sortir et il avait revêtu un costume sombre. Dehors la nuit régnait sur la ville encore en effervescence. M. Jocaster loua un fiacre et atteignit le lieu de la réception, non sans avoir payé juste comme il faut le cocher. Pour lui, payer en surplus n'était qu'une dépense exagérée.
Il ne participa pas à la danse. Après avoir salué deux ou trois connaissances il se dirigea finalement vers le groupe de son hôte, M. Burester.

-Et bien, M. Jocaster, comment vont vos affaires ?

-Aussi bien que cela puisse être. J'ai eu certains problèmes avec l'administration mais tout s'est réglé rapidement, dans le délai désiré.

-Comment arrivez-vous à réussir tous vos échanges, dans un temps définit, sans qu'aucun souci vienne vous démoraliser et vous déstabiliser ? demanda M. Larment.

-Je ne m'autorise aucun plaisir, je travaille tard et ainsi je parviens à rester droit dans mes différentes tâches. Sans les divertissements, on possède plus de temps que l'on ne croit.

-Vous nous étonnez M. Jocaster ! Pourtant, la vie doit vous paraître froide et sans goût ! s'exclama M. Burester.

-J'ai tellement gouté aux plaisirs dans ma jeunesse que cela m'a fait prendre des chemins bien différents que ceux dont je m'étais fixé le défi. Toutes ces joies qui ne sont que la source du péché m'ont dégouté à vie.

-Que vous est-il donc arrivé pour que vous soyez ainsi traumatisé des plaisirs de la vie ?

M. Jocaster sourit, mais froidement.

-Si je vous le disais, vous ne m'accepteriez plus dans vos réceptions et je serai bannis à jamais de votre esprit.

M. Burester rit.

-Voyons, mon cher, soyez plus clément envers vous-même ! Il n'y a pas mort d'homme ! Je suis certain que votre histoire est comme la mienne, un peu légère dans la jeunesse mais maintenant droite !

L'aigle et la Colombe et autres nouvellesWhere stories live. Discover now