Ma vie cachée

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Préoccupée par mes pensées, un cliquetis me sortit de ma torpeur:
   -Veuillez me suivre Mademoiselle, s’il-vous-plaît, m’annonça une voix féminine.
   -Pour quelle raison ne sortirais-je que présentement, serait-ce le “Grand jour”?
   -Oui Mademoiselle, et les domestiques doivent vous apprêter pour le mariage.
  Je me levai donc, et me laissai conduire hors de cette pièce, qui vit toute ma vie jusque là. Ensemble, nous parcourâmes de longs couloirs monotones, tous habillés de cramoisi et d’or. Cependant, je ne défilai pas dans ces corridors, mais dans ceux de ma mémoire, ceux qui me remettèrent mon histoire devant les yeux. Deux décennies vécues dans une grande salle, sans sortir. Nulle ouverture sur l’extérieur, sur le monde: aucune fenêtre, et qu’une unique porte, vérouillée. Là se déroula mon enfance, une existence en apparence triste et lassante. Néanmoins, pendant une période, elle ne le fût point, car tout me fût toujours permis. Je fûs libre de lire, d’étudier,... à n’importe quel moment. Le temps ne m’affectait pas, seules les pitances livrées brisaient l’uniformité des journées. Au début, cette existence paisible me convenait. Mais je ne pus m’empêcher d’imaginer ce qui se trouvait au-delà des quatres murs qui me retenaient. Moi qui rêvais de vastes étendues, je n’eu même pas une vitre qui m’aurait permis de contempler les éphémères beautés quotidiennes de la terre. Je me contentai donc de m’évader dans les délicieuses promesses d’avenir qui m’attendaient, et que les livres me transmettaient: le jour de mon vingtième anniversaire, je sortirai et épouserai le nouvel empereur de Garalawden; découvrant l’amour, mais surtout, le monde et ses habitants. Ceci me donnait des envies de liberté, qui me faisaient étouffer au sein de ma chambre. J’en rêvais jour et nuit, de ces temps meilleurs que ceux que je vivais.
  Dire qu’enfin, ce moment était arrivé. J’allais me marier!
  Depuis quelques temps déjà, nous étions arrivées à l’endroit où les domestiques durent me parer. Elle me vêtirent d’une somptueuse robe azur. Puis, elles me coiffèrent, me maquillèrent,... Après une interminable attente, je fûs prête. On me conduisit à travers le dédale du palais, et on m’arrêta devant une imposante porte. La demoiselle qui m’escortait dit:
   -Une fois la porte franchie, vous irez lentement, en marchant, vers le Prince qui vous attend déjà. Tenez, veuillez porter ce bouquet d’azalées et sourire au public dans l’allée que vous parcourez.
   -Merci, mais que devrai-je dire une fois à hauteur du Prince?
   -Un prêtre vous questionnera, vous répondrez ‘oui’.
   -Très bien, je vous remercie.
  Elle m’ouvrit la porte. De la lumière, éblouissante. Du bruit, assourdissant. Les seules choses que je ressentis. Puis des malaises. Mais également des nouveautés. Ce sont elles qui m’empêchent de m’évanouir. Le Soleil. L’air. “Libre, enfin!” pensai-je fortement. Je progressai lentement, abasourdie par tout ce que je vis. J’arrivai au niveau du Prince. Un homme élancé,sec, aux parfums exotiques, un visage affuté, des mèches aux reflets de nuit, une beauté envoûtante soulignée par ses profonds yeux aigue-marine. Le rouge me montai aux joues, je détournai mon regard afin qu’il ne puisse s’en apercevoir. Le religieux entama sans patienter la cérémonie:
   -Bien, comme vous en avez conscience depuis votre naissance, vous devez vivre, aujourd’hui, jour de vos vingt ans, le passage à l’âge adulte. Vous aller découvrir l’amour, prendre de réelles responsabilités, oublier l’innocence et l’insouciance de l’enfance, et engager votre lien immortel, avec votre âme soeur et avec votre peuple, celui qui vous guidera vers un avenir des plus radieux. Alors, Prince Nilthà, futur Empereur Nilthà-hîr, promettez-vous d’aimer la Princesse Firiel pour l’éternité, de la suivre jusqu’aux portes de la mort, mais également de rythmer votre vie par vos nouvelles obligations, de sorte que le bien-être et le bonheur du peuple soient garantis en tout instant?
   -Oui, je le promets.
   -Et vous, Princesse Firiel, future Impératrice Firiel-heryn, promettez-vous d’aimer, et obéir à votre mari, le Prince Nilthà, jusqu’aux portes de la mort, mais également de vous dédier corps et âme à votre peuple?
   -Oui, je le promets.
   -Je peux alors vous lier pour l’éternité, vous devenez mari et femme, Empereur et Impératrice de Garalawden! Que le bonheur, la prospérité, et la longévité vous accompagnent tout au long de votre règne! Vive les seigneurs!
  “Vive les seigneurs!” répéta l’assemblée qui nous regardait.
  Nous continuâmes, sans nous adresser ne serait-ce qu’une parole, à paraître durant les festivités qui accompagnèrent ce changement de régents. Célébrations qui s’achevèrent bien après que le crépuscule ait envahi le monde de son obscurité. Je ne pus donc faire connaissance de mon mari que la nuit, étant donné que nous dûmes avoir une chambre commune. Une fois l’agitation de la soirée retombée, il commença à me questionner:
   -Ma Dame, je me demandais de quelle manière se déroula votre enfance, accepteriez-vous de me la conter?
   -Oui, bien sûr. Elle fût, spéciale. Je ne fûs qu’en compagnie de mon âme vingt années durant.
   -Seule, vraiment?
   -Oui, dans une salle que je ne pouvais quitter. Mais ce fût une existence paisible. Je ne fûs contrainte par quelque obligation. Je m’occupai beaucoup par le dessin, la danse, mais surtout, par la lecture, et la pensée.
   -Je vois, ce ne dût pas être aisé tout de même.
   -Rassurez-vous, je fûs heureuse, lire des livres m’a délivrée d’une ample partie du poids de la solitude. Mais et votre enfance, comment fût-elle?
   Ce fût le contraire de la votre si je puis le dire. On m’exerça à diriger, à être autoritaire. Toujours ma conduite me fût dictée et mon temps occupé par quelque devoir que jamais je n’eu le plaisir d’effectuer.
   -Quelle jeunesse malheureuse!
   -Si c’est votre avis, mais que sont vingt années si l’on compare à une vie entière? Car sachez que, ce que je viens de vous décrire, c’est ce qui nous attend jusqu’à notre mort.
   -Comment cela! Les écrits m’ont toujours promis une existence où j’aurais dû être libre de voyager, libre de découvrir le monde!
   -Ce que vous ferez à travers vos obligations. Vous avez consenti et même promis de vous dédier corps et âme à votre peuple.
   -Car l’on m’a forcée à répondre ‘oui’!
   -En répondant ‘non’, vous auriez été exilée à vie, condamnée au trépas en errant dans d’infinies plaines sauvages, l’auriez-vous préféré?
   -Donc mon destin ne dépend plus de mes choix?
   -Cela suffit pour ce soir, allons dormir, une dure journée nous attend demain.
  Cette nuit, je dormis mal. L’horreur de ma nouvelle vie hantait mes pensées, me forçant à rester éveillée. Une existence privée de liberté, à n’être plus de maître de soi-même, ne serait-ce pas de l’esclavage? Mais malheureusement, le choix ne m’était point laissé, je devais supporter cela.
  Ainsi, de lassantes journées se succédèrent, pendant lesquelles les matinées étaient entièrement dédiées à l’accoutrement. Des heures à me préparer, en sorte de paraître et faire rayonner l’image de l’Empire à travers une de ses représentantes. Puis des après-midi où divers charges m’occupaient: récupérer les doléances, préparer des salons, et bien d’autres futilités encore. Au bout de quelques mois, d’affreuses sensations m’envahirent. Ce fût comme si la moindre chose m’irritait, ne supportant plus même mon enveloppe corporelle. La folie s’emparait de plus en plus de ma conscience. À de multiples reprises, je tentai de me soigner en reprenant la maîtrise, imposant ma volonté à ceux qui me manipulaient. Mais chaque fois, l’essai fût vain.
  Ce soir, je m’éclipse dans mon cabinet d’écriture avant de rejoindre mon mari. J’ai le besoin d’évacuer la tension que je garde depuis trop longtemps désormais. Je suis fulgurée par une envie d’écrire. Je sors du papier à lettre et commence la rédaction d’une correspondance que jamais je n’enverrai.
  “Mon âme,
  Tu fûs assaillie par beaucoup de tensions ces derniers mois, chose que tu n’eu jamais à faire auparavant. Mais qu’est-ce qui troubla ta nature si tranquille? Le mariage pour sûr, cette sortie de notre doux cocon. Depuis ce jour, ton réceptacle est demandé de toute part, jamais de repos ne lui est laissé. Même la nuit lui et toi ne pouvez vous reposer. Toujours vous restez éveillés jusqu’à l’aube à vous tourmenter sur votre esclavage comme tu l’appelles. Mais ô combien tu détiens la vérité! Car nous sommes entravées dans chacun de nos agissements, jamais notre avis n’est consulté, et nos opinions doivent plaire; nous sommes dans l’obligation de nous plier à la volonté de nos dirigeants (alors que nous sommes censées être leurs supérieurs!)! Mais sommes-nous donc encore des êtres humains dans l’entièreté de son sens. Déjà, la dignité nous ne l’avons plus. Mais la liberté personnelle, civile d’opinion, de conscience, d'étudier, d'expression, et même la liberté naturelle! Toutes nous ont été volées! Dérobées depuis notre venue au monde! Toujours il nous en a manqué! Avant, nous étudiions, et faisions les choses comme il nous convenait. Et dorénavant, ces libertés ont été remplacées par quoi, se déplacer en apparence plus librement, car sous contrainte des maîtres de notre temps. Mais que préférer entre être libre d’agir mais prisonnier de quatre murs, et paralysé dans ses actions, mais parcourir un vaste monde? Dans les deux cas, gardons-nous notre humanité? Une personne privée de telles libertés est-elle encore maître de sa vie, ou plutôt l’esclave de ceux qui la vénère? Mais qu’est-ce que le sens profond de la liberté? Nos philosophes l’ont définie mais ce ne sont que des concepts. Chacun devrait être en état de choisir sa propre définition. Il faut du moins saisir l’opportunité que l’on a de pouvoir la suivre. Ainsi, que pourrions-nous faire comme choix, là, à cette heure, mon âme, afin d’accéder à cette délivrance que nous souhaitons plus que tout au monde? Comment soulager cette folie qui commence à prendre contrôle de notre vie? Quelle solution trouver? L’exil? La solitude? Non, toujours des tourments seraient présents. Que pourrions-nous faire pour réellement tout supprimer, toute cette pression qui nous oppresse? Je regarde par la fenêtre, m’adressant à la canopée dans l’espoir d’y entrevoir une solution. La Lune est bien blafarde ce soir, les étoiles scintillent, minuscules éclats de lumière dans la sombreur de la nuit. Les constellations sont remarquables, les dessins se forment dans ma tête. J’aperçois Cassiopée, le Cygne, Orion, puis tout à coups, une vision saisissante s’offre à moi. Celle de la faucheuse, je vois sa cape sombre, sa faux qui réverbèrent la livide blancheur de l’astre nocturne. Je me roidis sous la peur. Mais elle paraît s’adresser à moi, m’offrant son échappatoire. J’hésite mais toute autre pensée ne peut accéder à mon esprit, je veux voyager avec cette nouvelle amie. Pour la rejoindre, je ne vois qu’une méthode, effrayante. J’essaye malgré tout de la repousser, trop violente. Mais en cette nuit noir, couleur de tombe, je ne peux que sentir l’attraction de la liberté. Car qu’est-ce que le trépas pour un esclave? La grâce attendue tout au long de l’existence. Mourir n’est que libérer son âme, la détacher de son corps. Et là, enfin l’être humain est libre. Car l’esprit et le fondement de l’Homme, et le laisser vaguer est lui permettre la liberté! Je me décide donc de suivre la faucheuse. J’ouvre le tiroir. Prends le coupe-papier, tranchant. Une lame aiguisée. Un métal luisant dans le clair-obscur du crépuscule, tel l’outil de ma délivrance! Le couteau passe sur ma cuisse, s’enfonce et mord profondément ma chair. Une quantité importante de sang écarlate s’écoule. La faiblesse saisit mon corps. Déjà, ma plume fourche sur le papier, tombe, et s’égare. C’est maintenant ma vie qui fuit. La lame continue son ballet funeste sur mon corps. Elle sectionne les artères du poignet, puis enfin, alors que ma vision se trouble, je m’apprête à couper les vaisseaux de mon cœur. Les derniers encore intacts, ceux qui me permettent de faire gratter ma plume sur le papier, écrire et laisser un souvenir, une explication malgré les nombreuses tâches rouges qui souillent la feuille. Mais enfin, je me décide à partir. Laisser cette maléfique existence qui me hante depuis le début. Je m'apprête à trancher les derniers fils de la vie, me laissant chuter dans les profondeurs de la liberté!”

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