Au détour d'une simple page

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Je ne me souviens plus exactement comment tout à commencer. Théo avait l'habitude de me balader partout, que ce soit à la maison ou à l'école il profitait de chaque temps libre pour feuilleter quelques-unes de mes pages usées. Mais après quelques semaines à l'accompagner dans sa vie et à éponger son émerveillement après chaque chapitre qu'il lisait, notre temps passé ensemble diminuait drastiquement. J'avoue qu'en premier lieu j'étais inquiet face à l'obscurité qui s'installait peu à peu. Mais après quelques jours de calme je me suis retrouvé dans les mains d'une jeune fille d'une chevelure rousse éclatante. Vu son âge, ça doit être une camarade de classe qui, d'après le visage tordu par un sourire qu'il s'efforce de cacher, lui plait énormément. J'entends peu de leur conversation. Je sais qu'elle s'appelle Elise et qu'elle aime beaucoup lire. Ça tombe bien, j'aime être lu. Je n'ai pas le temps de voir une dernière fois mon ancien propriétaire avant que la jeune fille ne me range dans son sac et monte dans une voiture pour rentrer chez elle.

Je ne peux cacher mon excitation. Théo était un lecteur lent, finissant au maximum quelques chapitres par semaine, mais cette gamine, elle je pense qu'elle va me dévorer en une nuit. Rien que d'y penser je pourrais trembler si je n'étais pas fait de papier. Je l'entends à travers le sac rentrer chez elle, saluer ses parents et poser ses affaires sur une chaise avant de manger un repas bien chaud. Au fur et à mesure que la conversation familiale qui semble habituel avance ma joie s'amplifie à chaque mot plein de passion pour la littérature sortant de la bouche d'Elise ou ses parents. Quelle chance que de tomber sur une famille de libraire et prof de lettre. Si j'avais un ventre il serait certainement rempli de papillon à l'heure qu'il est. Le temps passe, les assiettes se vident et le repas se termine dans une ambiance plus calme. J'entends sa voix polie et retenue qui demande à ses parents si elle peut monter dans sa chambre. Je sens que le moment tant attendu arrive enfin. Après des jours sans interactions je vais enfin pouvoir être lu. Après une réponse positive de ses parents emplis d'une fierté non cachée de la politesse de leur fille, elle se rue vers ses affaires et me prend avec elle dans sa chambre avant de s'installer dans son lit seulement éclairé d'une lampe de chevet et de la lune qui se reflète sur les murs de la pièce.

Enfin, c'est le moment que j'attendais après tant de temps. Elle feuillette les premières pages tandis que je savoure cette sensation de bonheur qui m'envahit. Les heures passent, les étoiles défilent dans le ciel et la jeune lectrice commence à fatiguer. Une légère peur m'envahit avant d'être totalement éclipsé par le soulagement quand je vois son regard déterminé. Elle ne va pas se coucher avant de m'avoir entièrement lu. Elle s'approche des derniers chapitres, du dénouement de l'histoire. Mon histoire. J'en suis presque ému. Les pages se tournent et les mots défilent dans ses yeux tandis que je suis aussi impatient que son sommeil qu'elle finisse. C'est bon, elle entame le dernier chapitre et bientôt le dernier paragraphe. La dernière phrase. Le dernier mot. Le point final. Après cette lecture intense elle me pose à son chevet et s'endort aussitôt. Je ne tarde pas à la rejoindre dans les songes tandis que les derniers reflets de la lune se reflètent sur sa chevelure flamboyante.

J'ouvre les yeux péniblement, le corps assez engourdi par la fatigue. Je me lève presque par réflexe avant de poser un œil à mes pieds. Le bonheur qui m'assiège est tel que je sens de chaudes larmes couler le long de mes joues. Je regarde mes mains, me pince pour voir si c'est bien réel avant que mon regard ne soit attiré par mon ancienne enveloppe. Je ne sais pas pourquoi mais j'arrive à entendre légèrement les cris de détresse d'Elise qui semble être autant dans le flou que moi à l'époque. Désolé, mais j'ai passé près de 100 ans dans ce bouquin, ce n'est pas pour que tu puisses revenir gâcher ma vie bien méritée. Je te confierais à un proche quand mon heure viendra, mais pour le moment j'ai toute une vie devant moi. Je range le livre dans un tiroir avant de sortir de ma chambre profiter d'un bon petit-déjeuner avec mes parents aimants.

Encore désolé, mais tu feras pareil avec le prochain.

Les contes d'une luneWhere stories live. Discover now