1ère partie

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L'automne est fini.

Et le feu de ses feuilles éteint, est voilé d'un blanc éclatant, promesse de nouveaux sombres jours...

Hier encore, le jardin était tacheté de brun et d'orange. Je trouve ces couleurs rassurantes. Comme si le dehors devenait une partie de la maison. L'automne est chaleureux. Pas qu'il soit chaud pour le corps, mais pour le cœur. Chaud pour le cœur et frais pour le corps. La seule saison que je connaisse où je peux sortir sans vraiment ressentir de gêne. Ni de sueur, ni de picotement à la peau, ou aux yeux, ni de chatouille au nez... quoi qu'un peu de mouillé aux pieds. Je m'y sens bien. Je m'y sentais bien, moi.

Mais ce matin déjà, le peu de neige avait comme coupé la maison du reste du monde. Et plus d'oiseaux à espionner, ni d'insecte à déterrer. Tout ça, ça me fait froid au cœur. L'hiver n'est qu'un désert blanc. Je préfère les desserts blancs. Tiens, j'ai faim. Maman doit être en train de préparer mon petit déjeuner.

En effet, elle est dans la cuisine. Maman sait tout faire, et sait tout, tout court. Je lui pose tout le temps des questions, et elle a toujours réponse à tout. C'est aussi une magicienne de la maison. D'un jour à l'autre, la place des meubles dans une pièce peut complètement changer. Et ils s'agencent quand même toujours parfaitement. Aussi, il suffit qu'elle soit quelque part dans la maison, pour que le bazar en disparaisse. Je ne sais toujours pas comment elle fait.

Même pas assis, je suis déjà servi, et ravi. Des biscottes qu'elle tartine de confiture de fraise, toujours accompagnées d'une petite madeleine au doux parfum d'amande. Et les cheveux de Maman ont la même. La même odeur. Ses cheveux longs et noirs, et sa peau blanche tachée de rousseur. Et elle me sourit avec ses yeux comme deux châtaignes, ou deux noisettes. L'automne étant parti, à la maison, je me sens si loin de ce monde, pâle et froid, dans ce cocon, doux et chaud.

D'habitude, Maman me laisse partir à la rivière d'à-côté, où je peux voir quelques petits poissons. Mais il fait encore sombre, et je n'ai que sept ans. Donc selon elle je ne devrais pas y aller. Sinon je peux mourir disait-elle. C'est ce qu'elle m'a dit lorsque j'ai essayé de manger une baie sauvage une fois, ou encore quand j'ai dit un gros mot pour la première fois.

Enfin le ciel dégagé et la légère pellicule de neige fondue par le soleil de midi, j'ai pu aller à la Rivière aux Crocodiles. C'est le nom que Papa lui donnait. Il ne cessait pas de me raconter que s'y cachaient tout plein d'animaux sauvages, des tortues géantes, des requins tigres, des serpents venimeux, des baleines bleues... et des crocodiles, surtout des crocodiles. Il me racontait plein de choses quand on était tous les deux au bord de cette rivière, des histoires de quand il était enfant, ou celles avec ses collègues de l'usine, mais aussi tout un tas de blagues. Il me faisait beaucoup rire, au bord de cette rivière. Au bord de cette rivière... Et un matin il est parti sans prévenir. Maman me disait qu'il reviendrait, et me dit toujours qu'il reviendra. Car il est parti pour un voyage, oui, un long voyage, m'a-t-elle dit. Et à chaque fois je viens à cette rivière, et je me dis peut-être, qui sait, que la prochaine fois il sera là, accroupi face à l'eau, et me fera rire à nouveau.

Je ne vois aucun poisson, ni même ne serait-ce qu'un petit insecte. Rien. La rivière était sans vie. De l'autre côté de celle-ci il y avait une forte montée pleine de grosses pierres, qui menait à une petite forêt. Je n'y suis jamais allé. La rivière est trop large pour rejoindre facilement le bord. Maman dirait que c'est trop dangereux, que je pourrais mourir. Mais, pour la première fois, quelque chose au fond de moi me pousse. Ce quelque chose me pousse à y aller. Mon cœur me brûle. Il veut que je rejoigne l'autre bord. Je veux rejoindre l'autre bord. Tout de suite.

Je vois Papa, là, à côté de moi. « Tu vas t'en sortir, tu vas t'en sortir... » me répète-il. Mes oreilles bourdonnent. J'ai froid. J'ai mal. Et je ne vois plus rien. Jusqu'à ce que mes yeux s'ouvrent. Je vois flou. Et seulement la lumière aveuglante du soleil. Et maintenant je vois la silhouette de Maman, penchée au-dessus de moi. Mais j'entends sa voix comme si elle parlait sous l'eau. Et je tourne ma tête. Et je vois du rouge. Beaucoup de rouge. Partout.

Et je ferme les yeux.

L'automne est finiOù les histoires vivent. Découvrez maintenant